"L'Europe a longtemps oublié la géopolitique"

"L'Europe a longtemps oublié la géopolitique"

Le président français s’est rendu cette semaine en Allemagne. Il s’agissait de la première visite d'État d'un dirigeant français depuis 24 ans. Emmanuel Macron a tenu un discours pro-européen, un discours en faveur du couple franco-allemand, et contre l'autoritarisme, à l’heure où l’UE veut faire entendre davantage sa voix sur la scène internationale.

Euronews a interrogé Sven Biscop, politologue à l'université de Gand et directeur du programme "L'Europe dans le monde" à l'Institut Egmont, l’Institut royal des relations internationales à Bruxelles.

Euronews :

Vous venez de publier un nouveau livre sur la politique étrangère de l'UE intitulé « This is not a new world order - Europe rediscovers geopolitics, from Ukraine to Taiwan » (Ce n'est pas un nouvel ordre mondial - L'Europe redécouvre la géopolitique, de l'Ukraine à Taïwan). Dites-nous ce que l'Europe a découvert exactement ?

Sven Biscop :

Je pense que l'Europe a longtemps oublié la géopolitique. Et puis soudain, après l'invasion russe de l'Ukraine, nous avons réalisé qu'il était en fait très important de savoir où se trouvent les ressources que je dois importer ou mes marchés d'exportation, où sont mes amis, où sont mes ennemis ? Où sont toutes les lignes qui les relient, car cela crée des vulnérabilités spécifiques. Il est donc essentiel de les connaître. Mais peut-être qu'aujourd'hui, nous en faisons un peu trop.

Euronews :

Sur cette base, quel rôle l'Europe veut-elle jouer à l'avenir ? En 2019, Ursula von der Leyen a parlé d'une Union géopolitique...

Sven Biscop :

C'est ce que je veux dire. Il est très important que nous connaissions notre situation géopolitique. Mais la géopolitique n'est pas une stratégie. Il faut ensuite choisir comment traiter ces problèmes géopolitiques, vous essayez de les résoudre en faisant la guerre ou vous essayez de les résoudre en proposant un accord d'association. J'ai donc l'impression que l'UE a un peu perdu le fil. Nous disons que nous voulons être géopolitiques, ce qui signifie apparemment que nous voulons être plus sûrs de nous, et je suis tout à fait d'accord. Mais dans quel but ?

Euronews :

Les gouvernements vont et viennent, mais les intérêts des pays ne changent jamais. Qu'en est-il de l'UE, ses intérêts ont-ils changé au cours des cinq dernières années ?

Sven Biscop :

Je ne pense pas. Et l'un de nos principaux intérêts, que nous ne devrions pas oublier, est de maintenir le monde uni. J'entends par là éviter que le monde ne s'effondre à nouveau en deux blocs rivaux qui se dissocient l'un de l'autre, car ce serait d'abord un désastre économique pour l'Europe. Je pense qu'il est important que nous nous souvenions que si nous pouvons l'éviter, nous essayons de maintenir le monde uni. Et il n'est absolument pas dans notre intérêt de lancer une nouvelle confrontation mondiale ou une nouvelle guerre froide mondiale.

Euronews :

Dans quelques jours, les Européens se rendront aux urnes. Dans quelle mesure le résultat des élections modifiera-t-il la position de l'UE en matière de politique étrangère ?

Sven Biscop :

La composition du Parlement européen est très importante, car sans Parlement, il n'est pas possible de conclure des traités. Par exemple, la Chine a réussi à se mettre le Parlement européen à dos en sanctionnant des députés. Quel sera le point de vue du nouveau Parlement sur la Chine ? La Chine sera-t-elle intelligente et dira-t-elle que ces sanctions visaient le Parlement précédent, il y a un nouveau Parlement maintenant, alors nous les abandonnons ? C'est le conseil que je donnerais si la Chine était sérieuse dans sa volonté de réorganiser les relations.