Des soldats prennent la défense de manifestants à Khartoum-témoins

KHARTOUM (Reuters) - Des soldats soudanais ont pris la défense lundi de milliers de manifestants antigouvernementaux que les services de sécurité tentaient de disperser dans le centre de Khartoum, ont rapporté des témoins et des manifestants.

Un groupe de personnalités de l'opposition a rejoint les manifestants, pour la première fois depuis le début du mouvement, s'adressant aux contestataires massés devant le siège du ministère de la Défense, ont indiqué des témoins. Ces leaders de l'opposition ont réitéré leur appel à la démission immédiate du président Omar el Béchir et de son gouvernement.

Des policiers anti-émeutes et des membres des services secrets ont chargé la foule des manifestants, évaluée à 3.000 personnes, tirant des grenades lacrymogènes pour tenter de les disperser.

Mais, disent témoins et militants, des soldats gardant le complexe de bâtiments officiels devant lequel se tenait un sit-in sont intervenus pour protéger les manifestants, tirant des coups de feu en l'air.

Les forces de sécurité ont battu en retraite sans riposter et des soldats se sont déployés autour du secteur, tandis que les manifestants scandaient "L'armée nous protège!" et "Un peuple, une armée!", ont affirmé des témoins. On ne signale pas de victimes.

Le ministre de l'Information, Hassan Ismaïl, par ailleurs porte-parole du gouvernement, a contredit ces informations en affirmant que la foule des contestataires avait été totalement évacuée des lieux.

"La foule massée devant le commandement général (des forces armées) a été complètement évacuée, sans qu'il y ait de victimes de part et d'autres(...)", a-t-il affirmé.

Les manifestants venaient de passer une deuxième nuit devant le complexe officiel qui comprend le siège du ministère de la Défense, dans le centre de Khartoum, près de la résidence du président Béchir.

DIX MILLE MANIFESTANTS SAMEDI

Le Soudan connaît depuis le 19 décembre dernier un mouvement de manifestations régulières quoique de faible ampleur contre le pouvoir du président Béchir, arrivé à la tête du pays en 1989. Des dizaines de manifestants ont été tués et les forces de sécurité ont fait usage de gaz lacrymogènes, de grenades assourdissantes et de balles réelles contre les protestataires, selon des témoins, mais le président Béchir exclut de démissionner.

Tout d'abord, le mouvement visait à protester contre une forte hausse de prix de denrées de base, les 40 millions de Soudanais souffrant d'une grave crise économique provoquée en partie par des années de sanctions américaines et par la perte des revenus pétroliers depuis que le Soudan du Sud a fait sécession en 2011. Peu à peu, le mouvement a tourné à la contestation contre le président Béchir.

Le ministre soudanais de l'Intérieur, Bishara Jumaa, a annoncé lundi devant le parlement que six personnes avaient été tuées samedi et dimanche dans les manifestations à Khartoum, ainsi qu'une autre dans la région occidentale du Darfour.

En outre, a-t-il dit, 15 civils et 42 membres des forces de sécurité ont été blessés dans les manifestations et près de 2.500 personnes arrêtées à Khartoum.

Selon le ministre, 10.000 manifestants se sont massés devant le siège du ministère de la Défense samedi. C'est la première fois que les autorités donnent une telle estimation du nombre de manifestants.

Le ministre a ajouté que depuis le tout début des manifestations en décembre, 39 personnes avaient été tuées, dont trois membres des forces de sécurité. L'opposition, elle, parle de plus de 60 morts depuis la mi-décembre.

(Khalid Abdelaziz; Henri-Pierre André et Eric Faye pour le service français)