Les Balkans au coeur du trafic d'armes servant aux attentats
par Aleksandar Vasovic et Gabriela Baczynska BELGRADE/BRUXELLES (Reuters) - Besoin d'une Kalachnikov en Belgique ? Pas de problème, dit "Nemac" le Serbe; quelques centaines d'euros suffiront à acheter l'arme et une place pour l'acheminer, planquée dans une voiture ou un camion en provenance des Balkans. Rencontré dans un restaurant de routiers lugubre des alentours de Belgrade, la capitale serbe, Nemac précise qu'il ne fait pas lui-même de trafic d'armes. Mais, cet ancien des guerres de Yougoslavie explique qu'il connaît des gens qui le font. Ils peuvent livrer des fusils d'assaut du genre de ceux qui ont été utilisés dans les attentats du 13 novembre à Paris. Il évoque les armes qui circulent dans les Balkans, héritage de l'armée yougoslave. Autrefois, la principale menace djihadiste pour l'Europe, c'était la bombe. Puis, depuis un an environ, avec les attaques menées par les djihadistes français et belges revenus de Syrie l'attention s'est portée sur les armes et leur acheminement vers le coeur de l'Europe. C'est le domaine des gangsters des Balkans qui fournissent le grand banditisme en Europe occidentale. La provenance de la totalité des armes utilisées dans les attentats de Paris n'est pas connue avec certitude, mais on a appris samedi qu'une partie, notamment des M70, provenait d'un lot fabriqué à Belgrade à la fin des années 80. Ce qui est clair en revanche, c'est que les armes se retrouvent de plus en plus entre les mains des extrémistes. "Il y a plein de coins et recoins dans une voiture ou un camion où on peut cacher une arme démontée", explique Nemac, dont le nom de guerre signifie "l'Allemand". "Les gens les cachent dans le réservoir." UN VIEIL ACCORDÉON Son associé Milan présente la liste des prix pour les armes volées dans les arsenaux d'Albanie et des pays de l'ex-Yougoslavie : 700 euros pour un fusil AK-47 (Kalachnikov) de fabrication yougoslave; un peu moins pour les modèles albanais et les versions chinoises. "Les pistolets ne sont pas encore trop chers, environ 150 euros pièce", ajoute Milan. La semaine dernière, le directeur d'Europol, le Britannique Rob Wainwright, a expliqué au Parlement européen qu'il pourrait y avoir d'autres attentats utilisant des armes vendues par les réseaux criminels des Balkans. En mai 2014, le Français Mehdi Nemmouche, 29 ans, de retour de Syrie, avait utilisé un AK-47 pour abattre quatre personnes au Musée juif de Bruxelles. Des Kalachnikov ont également été utilisées dans l'attaque de Charlie Hebdo et contre un hypermarché cacher en janvier dernier. Certaines ont été acquises en Belgique comme celle du tireur du Thalys en août. L'Union européenne a décidé de renforcer le contrôle à ses frontières ainsi que sa législation sur les armes, mais Nemac, Milan ou ce policier serbe blasé estiment que cela n'arrêtera pas le trafic. Selon le policier serbe, les enquêteurs ne découvrent au mieux qu'un tiers des livraisons. Le problème, dit-il, c'est le faible volume des armes. Et de raconter l'histoire de cet homme qui avait déclaré aux douaniers à la frontière serbe avec l'UE qu'il était musicien et n'avait rien à déclarer qu'un vieil accordéon. Sa voiture a été examinée. Il y avait un trou obturé avec du ruban adhésif. A l'intérieur, se trouvaient 20 armes de poing. CACHÉE DANS UN SANDWICH Une autre fois, une arme a été découverte dans un sac comprenant des couennes de porc et une autre cachée dans un sandwich. Le problème n'est pas tant les 80 millions d'armes à feu qui circulent au sein de l'Union européenne. Elles sont soit propriété de l'Etat ou alors elles font l'objet d'un port d'arme très strict. Le problème, c'est essentiellement le vieux matériel militaire vendu au marché noir dans les Balkans. "On ne sait pas où sont ces armes, qui les détient et comment elles sont utilisées", explique Ivan Zverzhanovski qui travaille à la Clearinghouse for the Control of Small Arms and Light Weapons, organisme de surveillance de la prolifération basé à Belgrade. Une semaine avant les attentats de Paris, la Serbie avait annoncé l'arrestation, conjointement avec la France, d'une bande importante faisant le trafic des armes entre les deux pays. Peu de journaux s'en sont fait l'écho. Pratiquement au même moment, la police allemande a arrêté une Golf conduite par un homme originaire du Monténégro, pays voisin de la Serbie. Huit Kalachnikov AK-47 ont été retrouvées dans le véhicule ainsi que des armes de poing et des explosifs. Son système de navigation montrait qu'il se rendait à Paris. Aucun lien direct n'a été établi avec les attentats de Paris, mais son cas n'est pas isolé. ENTRER DANS L'ESPACE SCHENGEN "Si tu as 500 à 1.000 euros, tu peux obtenir une arme en une demi-heure", explique Bilal Benyaich, spécialiste de l'islam radical pour le groupe Itinera basé à Bruxelles. "C'est ce qui fait que Bruxelles ressemble à une grande ville des Etats-Unis", ajoute-t-il. "Une fois l'accord conclu, les vendeurs locaux démontent les armes et les livrent", explique Milan. "La principale difficulté est d'entrer dans l'espace Schengen, c'est-à-dire en Hongrie, sans se faire prendre. Une fois dans Schengen, un homme sage changera de véhicule deux ou trois fois." "Cela veut dire qu'il te faut un réseau. Et le plus de gens sont impliqués, plus la probabilité d'une fuite à la police est grande." L'UE a décidé de mettre en place un système de marquage et d'enregistrement pour les armes ainsi que des normes pour leur désactivation. Un AK-47 ayant servi dans l'attaque contre Charlie Hebdo avait été acheté légalement comme une arme de collection désactivée en Slovaquie, pays membre de l'UE. Ce qui justifie l'idée de renforcer les contrôles dans les Balkans, même si des armes illicites viennent aussi de Libye et de l'est de l'Ukraine. D'autres difficultés restent à résoudre. Si des armes peuvent être dissimulées dans des sandwiches, elles sont aussi de plus en plus échangées en ligne sur le "dark net" ou assemblées à partir de pièces acquises séparément, certaines en ligne, légalement. Et les progrès de la technologie sont source de nouveaux dangers. Ainsi, des imprimantes 3D ont-elles pu être utilisées pour fabriquer des armes. La France a appelé à une interdiction des logiciels pour les fabriquer au sein de l'UE. (Avec Andrew Chung à Paris, Benet Koleka à Tirana, Petar Komnenic à Podgorica, Alastair Macdonald à Bruxelles et Maja Zuvela à Sarajevo; Danielle Rouquié pour le service français, édité par Pierre Sérisier)