L'EI se rapproche du "croissant pétrolier" de la Libye

Le coeur du secteur pétrolier de Libye, autour des terminaux d'Es Sider (photo) et de Ras Lanouf, sur les rivages du golfe de Syrte, résiste toujours aux poussées des djihadistes de l'Etat islamique mais l'escalade des violences renforce la menace qui pèse sur ces installations. /Photo d'archives/REUTERS/REUTERS/Esam Omran Al-Fetori

par Aidan Lewis TUNIS (Reuters) - Le coeur du secteur pétrolier de Libye, autour des terminaux d'Es Sider et de Ras Lanouf, résiste toujours aux poussées des djihadistes de l'Etat islamique (EI) mais l'escalade des violences renforce la menace qui pèse sur ces installations. Plus de quatre ans après la chute de Mouammar Kadhafi, alors que le pouvoir politique est divisé et que le chaos règne dans le pays, le "croissant pétrolier", sur les rivages du golfe de Syrte, fournit toujours des revenus cruciaux pour l'Etat. Mais les exportations du pays nord-africain, membre de l'Opep, l'Organisation des pays exportateurs de pétrole, ont plongé à partir de 2013. Les ports pétroliers d'Es Sider et de Ras Lanouf sont fermés depuis décembre 2014, et les combats se rapprochent. De 1,6 million de barils par jour (bpj) avant le soulèvement de 2011, la production pétrolière libyenne a été divisée par quatre, chutant sous les 400.000 bpj. Partis de Syrte, dont ils ont fait leur voie d'entrée en Libye, les djihadistes de l'EI ont progressé le long de la côte, poussant jusqu'à Ben Jawad, une ville désormais sous leur contrôle à 30 km seulement à l'ouest d'Es Sider. Mais contrairement à la Syrie, les combattants de l'organisation d'Abou Bakr al Baghdadi n'ont pas encore pris la possession de sites pétroliers. Les deux dernières semaines ont pourtant été intenses sur le front des tentatives armées, avec attentats suicide, bombardements, incendies de cuves de stockage et attaque contre un oléoduc. "Je pense que le danger est très grave, notamment à Es Sider. Le secteur semble sécurisé, mais nul ne peut garantir quoi que ce soit", confirme Mohamed al Harari, porte-parole de la Compagnie pétrolière nationale (NOC) joint à Tripoli par téléphone. BOULEVERSEMENTS SOCIAUX La récente offensive a débuté le 4 janvier par un double attentat à la voiture piégée contre un poste avancé des gardes chargés de la protection des sites pétroliers. Ce corps spécialisé de Petroleum Facilities Guards a été créé par la NOC en 2005, bien avant le mouvement des "printemps arabes". C'est la compagnie pétrolière qui règle la solde de ses quelque 12.000 membres, dont les allégeances, jugent des analystes, sont incertaines et les aptitudes au combat limitées. Depuis le début de l'année, une vingtaine d'entre eux ont payé leur engagement de leur vie. Et le commandement des PFG s'attend à une nouvelle offensive djihadiste "à la première occasion", dit leur porte-parole, Ali al Hassi. La direction de la NOC, qui a lancé un "appel au secours" pour repousser les assauts des djihadistes, a annoncé la semaine passée l'envoi d'un tanker pour évacuer le pétrole toujours stocké dans les terminaux. Il n'est pas certain, du fait des conditions de sécurité, que le transfert pourra avoir lieu. A une centaine de kilomètres à l'est de Ras Lanouf, le terminal de Brega fonctionne toujours. Mais Richard Mallinson, analyste chez Energy Aspects, une firme de consultant, souligne que les djihadistes, s'ils percent les défenses d'Es Sider et Ras Lanouf, pourraient passer à l'attaque très vite. Les gisements pétroliers terrestres de Sarir, Messla et Nafoura, qui concentrent 60% environ de la production libyenne, seraient également visés, ajoute-t-il. A priori, l'objectif des djihadistes de l'EI ne semble pas être de prendre le contrôle mais de détruire les infrastructures pétrolières. Toute neutralisation de sites réduit mécaniquement la manne pétrolière qui finance l'action de l'Etat. De quoi fragiliser le Gouvernement d'accord national qui doit, avec le soutien de l'Onu, prendre ses quartiers dans les semaines à venir et mettre un terme à la concurrence que se livrent deux gouvernements à la légitimité opposée, l'un à Tripoli, la capitale, l'autre, reconnu par la communauté internationale, réfugié dans l'est du pays. "Ils veulent creuser les déficits des finances publiques et créer des bouleversements sociaux et économiques", analyse Claudia Guazzini, spécialiste reconnue de la Libye au sein de l'International Crisis Group (ICG). (avec Ayman al-Warfalli à Benghazi; Henri-Pierre André pour le service français)