Législatives : de 8 à 89 députés, comment expliquer la percée du RN à l'Assemblée ?

Marine Le Pen fait un selfie lors d'un déplacement, le 18 avril 2022 (Photo by Sameer Al-DOUMY / AFP)

Un score historique pour le Rassemblement National, qui n'avait jamais dépassé les 35 députés à l'Assemblée.

Une poussée que personne ou presque n'avait vu venir. Le Rassemblement national apparaît comme le grand vainqueur des élections législatives, passant en cinq ans de huit députés à 89, et devenant ainsi le premier parti d'opposition, devant La France Insoumise. Le parti écrase même son record de 35 députés, qui datait de 1986, date à laquelle la proportionnelle lui avait permis de réaliser un tel score.

"Ce n'est pas une surprise mais la confirmation de la dynamique électorale qu'on a aperçu à la présidentielle, avec Marine Le Pen présente deux fois au second tour, avec des scores en progression", analyse d'emblée Arnaud Benedetti, politologue et rédacteur en chef de la revue politique et parlementaire.

Le RN a bénéficié "de la polarisation entre Ensemble! et la Nupes"

Un score permis tout d'abord par la façon dont s'est déroulée la campagne des législatives. "Le RN a bénéficié d'une campagne discrète, et de la polarisation entre Ensemble! et la Nupes durant les législatives. Jean-Luc Mélenchon a, involontairement, fait le travail de démolition de la majorité présidentielle, ce qui a bénéficié aux candidats RN, qui n'ont pas été très exposés et n'ont pas fait face à une stratégie de diabolisation", ajoute le politologue.

De son côté, la gauche pointe du doigt la responsabilité de la majorité présidentielle dans le score du RN en raison des consignes de vote dans l'entre-deux tours, se contentant d’un "cas par cas" au niveau local lors des duels entre la Nupes et le Rassemblement national, à l'image de Marine Tondelier, candidate Nupes battue par Marine Le Pen dans la 11e circonscription du Pas-de-Calais. Dans ce cas précis, la candidate de la majorité avait appelé à voter blanc au second tour entre les deux candidates.

"La ficelle de la diabolisation est usée"

La Nupes pointe également du doigt le discours de la majorité depuis le début de la campagne présidentielle qui renvoie dos-à-dos Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon, illustré par exemple par la position de Jean-Michel Blanquer après sa défaite au premier tour, qui avait appelé à "faire barrage à l’extrême gauche" estimant qu’elle est "aussi dangereuse que l’extrême droite".

Au-delà de l'explication des consignes de vote durant l'entre-deux tours, la percée du RN à l'Assemblée marque la fin d'une stratégie d'Emmanuel Macron. "La ficelle de la diabolisation est usée. L'exécutif a tenté de diaboliser Jean-Luc Mélenchon durant les législatives, comme il l'a fait avec Marine Le Pen à la présidentielle. Sauf qu'en utilisant systématiquement la diabolisation, ça apparait comme un artifice pour gagner une élection aux yeux des Français, et cela ne fonctionne plus. Le front républicain est mort", relève Philippe Moreau-Chevrolet, professeur de communication politique à Science Po.

"Une part de l'électorat est très anti-Macron et, même s'il est de gauche, peut voter RN"

Une cristallisation de l'opposition à Emmanuel Macron qui pousse parfois les électeurs à dépasser les clivages. "Le front républicain s'épuise. On s'aperçoit qu'une part de l'électorat est très anti-Macron et, même s'il est de gauche, peut voter pour le RN face à un candidat de la majorité", poursuit Arnaud Benedetti.

Selon une enquête Harris Interactive dédiée aux reports de voix, en cas de duel RN / Ensemble!, 24% des électeurs de la Nupes au premier tour ont voté pour le RN, 31% pour la majorité, et 45% se sont abstenus. "Des électeurs Nupes se disent que sur la question sociale, Marine Le Pen vaut mieux qu’Emmanuel Macron. Quand vous regardez leurs motivations de vote, le sujet des retraites est extrêmement fort", analyse auprès du Parisien Jean-Daniel Levy, directeur délégué d’Harris Interactive.

Les bénéfices de la dédiabolisation du parti

Selon Harris, en cas de duel Nupes / RN, les électeurs de la majorité se sont tourné à 34% pour la Nupes et 18% pour le RN. "On avait des cas où c’était compliqué de définir qui était le candidat le plus républicain", a tenté de se justifier sur France Info la députée Aurore Bergé, au sujet des consignes de la majorité présidentielle durant l'entre deux-tours.

Au-delà du comportement des électeurs de gauche ou de la majorité présidentielle, une autre raison est avancée pour expliquer la percée du RN à l'Assemblée : son évolution depuis plusieurs années. "Marine Le Pen a travaillé son image depuis cinq ans, le symbole c'est son image d'éleveuse de chats, qui la rend sympathique. Ce travail poursuit la dédiabolisation du parti, qui a été accentuée par la candidature d'Éric Zemmour. Ses propos radicaux ont aidé à rendre plus facile le vote pour le RN et Marine Le Pen", poursuit Philippe Moreau-Chevrolet.

Des candidats au profil proche des électeurs

La carte des 89 députés RN élus, tous en métropole, correspond "aux bastions traditionnels du RN, le Pas-de-Calais, le Sud-Est, une partie de l'Occitanie, mais aussi à des zones où le RN était fort à la présidentielle, mais jusqu'à présent sans élus à l'Assemblée : le Lot-et-Garonne, le Médoc par exemple. Des zones où le mouvement des gilets jaunes s'est fortement exprimé", remarque Arnaud Benedetti.

Des députés élus dont le profil joue un rôle dans le vote. "Le vote est sociologique, on vote pour ceux qui nous ressemblent : les entrepreneurs et startuppers pour la majorité, les artisans, commerçants davantage pour le RN. Et à part la direction du parti, les députés élus sont sociologiquement proches des électeurs", explique Philippe Moreau-Chevrolet. Parmi les 89 députés élus, Romain Baubry, policier élu député dans le Sud, Kevin Mauvieux, ancien LR passé au RN et conseiller en assurance, Michael Taverne, policier et ex-cadre de Debout la France, ou encore Daniel Grenon, un épicier à la retraite de 73 ans.

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