Le président soudanais déposé par l'armée, la rue veut une transition civile

par Khalid Abdelaziz

KHARTOUM (Reuters) - Le président soudanais Omar Hassan el Béchir, au pouvoir depuis 1989, a été déposé jeudi par l'armée mais ses opposants, mobilisés depuis décembre, ont exigé l'instauration d'un régime civil.

Le ministre de la Défense, Aouad Mohamed Ahmed Ibn Aouf, a annoncé la formation d'un conseil militaire chargé d'assurer l'intérim pendant deux ans et la tenue d'élections à l'issue de cette période transitoire.

Dans la soirée, la télévision publique a annoncé que c'est lui qui dirigerait ce conseil. Le chef d'état-major des forces armées soudanaises, le général Kamal Abdoul Mourof Al-Mahi, sera son adjoint.

Dans une allocution télévisée annonçant la destitution et l'arrestation de Béchir, le ministre de la Défense avait en outre annoncé l'instauration pour trois mois de l'état d'urgence, un couvre-feu national et la suspension de la Constitution.

L'espace aérien sera par ailleurs fermé pendant vingt-quatre heures et les frontières le seront également jusqu'à nouvel ordre, a-t-il ajouté.

Dénonçant ses projets, l'Association des professionnels soudanais (APS), qui est à la pointe de la contestation, a invité les manifestants rassemblés depuis samedi devant le ministère de la Défense à y rester.

"Nous n'accepterons qu'un gouvernement de transition civil composé d'éléments parties prenantes de la Proclamation de la liberté et du changement", a déclaré Omar Saleh Sennar, membre de l'APS.

Peu après, les dizaines de milliers de personnes qui s'étaient rassemblées dans le centre de Khartoum pour célébrer la destitution du chef de l'Etat se sont mises à protester contre l'instauration d'un régime militaire, a rapporté un journaliste de Reuters sur place.

Défiant le couvre-feu entré en vigueur à 22h00 heure locale, ils étaient plusieurs milliers jeudi soir devant l'enceinte qui abrite le ministère de la Défense et dans d'autres lieux de la capitale ainsi que dans d'autres villes du Soudan.

"Ils ont enlevé un voleur et en ont apporté un autre" ou bien encore "Révolution ! Révolution "!, scandaient-ils.

"Se conformer au couvre-feu, c'est reconnaître ce gouvernement de clones", a déclaré l'APS. "Restez sur place et protégez votre révolution."

Les Etats-Unis, sans pour autant parler de putsch, ont affiché leur soutien à un Soudan pacifique et démocratique et estimait que la société civile devait être associée à la transition bien plus tôt qu'au terme du délai de deux ans annoncé par le conseil militaire.

"Le peuple soudanais devrait décider qui les conduira à l'avenir", a dit un porte-parole du département d'Etat. "Le peuple soudanais a clairement dit qu'il réclamait une transition conduite par des civils."

Dans l'immédiat, Washington a suspendu les discussions engagées avec le Soudan sous la présidence de Barack Obama en vue d'une normalisation de ses relations avec Khartoum. Les Etats-Unis ont imposé en 1997 un embargo sur le commerce avec le Soudan en représailles aux violations commises contre les droits de l'homme et au soutien présumé apporté par le régime soudanais à des groupes terroristes. Ces sanctions ont été renforcées en 2006 après le Darfour.

A Londres, le secrétaire britannique au Foreign Office a lui aussi appuyé une évolution rapide vers une "gouvernance inclusive, représentative et civile", ajoutant qu'"un conseil militaire au pouvoir pendant deux n'est pas la réponse".

BÉCHIR "SOUS BONNE GARDE"

Omar Hassan el Béchir, qui est âgé de 75 ans, se trouve "sous bonne garde" à la résidence présidentielle, dit-on de sources soudanaises.

Le président a été inculpé de génocide par la Cour pénale internationale (CPI) et fait l'objet d'un mandat d'arrêt international pour des crimes commis au Darfour après le soulèvement de 2003, dont la répression aurait fait 300.000 morts.

D'après un fils de Sadiq al Mahdi, chef de file du parti Oumma, principale composante de l'opposition, Béchir a été arrêté en compagnie d'"un certain nombre de dirigeants du groupe terroriste des Frères musulmans".

Les manifestations se succèdent depuis la hausse du prix du pain, le 19 décembre, alors que le pays traverse une grave crise économique provoquée par des années de sanctions américaines et par la perte d'une bonne partie des revenus pétroliers, depuis la sécession du Soudan du Sud en 2011.

Peu à peu, le mouvement a tourné à la contestation politique et la crise a pris un nouveau tour le week-end dernier, lorsque plusieurs milliers de manifestants se sont rassemblés devant le ministère de la Défense, où Omar el Béchir a également sa résidence.

Des affrontements ont éclaté mardi entre des soldats cherchant à protéger les manifestants et des membres des services de sécurité et de renseignement cherchant à les disperser. Les affrontements ont fait au moins 11 morts, dont six membres des forces armées, selon le ministre de l'Information.

(Avec Mohamed El Sherif au Caire et Lesley Wroughton à Washington; Eric Faye, Jean-Philippe Lefief et Henri-Pierre André pour le service français)