Le Pen face au colossal chantier de la refondation en 2018

par Simon Carraud

NANTERRE, Hauts-de-Seine (Reuters) - Rebaptiser le Front national, bâtir un nouveau programme sur l'Europe, gagner en crédibilité, trouver des alliés : Marine Le Pen a énuméré lundi les chantiers qui l'attendent en 2018, un inventaire particulièrement long qui laisse voir en creux l'état de faiblesse d'un parti déboussolé depuis la présidentielle.

Pour autant, il ne faut accorder aucun crédit aux "faire-part de décès" du FN, a déclaré l'ex-candidate lors de ses voeux à la presse, prononcés au siège du parti à Nanterre (Hauts-de-Seine).

"Au seuil de cette nouvelle année, je tenais, pour ceux qui s'inquiétaient sur notre sort, à vous rassurer sur notre bonne santé", a-t-elle ajouté. "Et c'est tant mieux, car je crois que jamais le Front national n'a été si nécessaire."

Le ton employé lors de son discours et l'atmosphère générale au FN contrastent toutefois avec la cérémonie des voeux de l'an dernier, lorsque Marine Le Pen abordait en conquérante la campagne à venir, depuis son quartier général situé alors dans la même rue que l'Elysée.

Depuis, la prestation de la candidate lors de son débat face à Emmanuel Macron, le résultat du second tour (33,9%) et la moisson décevante des législatives ont refroidi les cadres frontistes et mis à nu les lacunes de l'appareil.

"L'évolution du Front national doit donc se poursuivre pour lui permettre d'acquérir sans aucune contestation possible une culture de gouvernement", a déclaré Marine Le Pen, qui a ouvert une phase de "refondation" une fois clos le chapitre électoral.

"RÉVOLUTION CULTURELLE"

"Cela nous impose beaucoup de travail de fond pour construire des programmes précis sur l'Europe, les régions, les départements ou les communes" et "de redoubler d'effort de formation pour disposer de cadres centraux et locaux encore plus performants", a-t-elle ajouté.

En 2018, il faudra donc "définir précisément notre projet pour l'organisation de l'Europe, qui s'appellera l'Union des nations européennes" et "décrire précisément la période de transition entre l'UE et l'UNE", a-t-elle précisé après les atermoiements de ces derniers mois sur le sujet.

Marine Le Pen a également jugé nécessaire de pouvoir nouer des alliances, indispensables à la conquête du pouvoir, ce qui suppose selon elle de "réaliser une véritable révolution culturelle" au sein du FN.

Soucieux de dépoussiérer son image, le parti compte parachever sa transformation en abandonnant le nom hérité des années Jean-Marie Le Pen - à la grande colère du patriarche - et proposera à ses adhérents de se prononcer sur la question après le prochain congrès, prévu les 10 et 11 mars à Lille.

Dimanche, des documents publiés par les sites Mediapart et Buzzfeed ont étayé la thèse d'un manque d'organisation endémique du parti durant la présidentielle.

"EN PERDITION" SUR LA STRATÉGIE

Mediapart a également mis en ligne le témoignage d'un ancien permanent, Mickaël Ehrminger, qui décrit une campagne lourdement handicapée par un "amateurisme total", des luttes de clans et la personnalité de Marine Le Pen, selon lui "sans ligne directrice" et toujours prête à changer d'avis.

Un "gratte-papier mythomane" chargé uniquement de corriger des discours, a-t-on balayé lundi dans l'entourage de la présidente.

Le site d'investigation, de même que Buzzfeed, ont par ailleurs mis au jour une note, présentée comme étant de la main de Damien Philippot, portant des recommandations en vue du débat face à Emmanuel Macron.

Dans cette fiche, que Marine Le Pen a refusé d'authentifier ou non, il lui est conseillé d'opter pour une stratégie offensive car, peut-on lire, "l'objectif n'est pas de gagner en crédibilité" et "nous n'arriverons pas à corriger (ce déficit-NDLR), surtout face à lui (Emmanuel Macron-NDLR) qui maîtrise parfaitement tous les arguments du système".

Au-delà des questions de logistique interne, le FN traverse une crise profonde.

"Il est confronté à trois enjeux", résume Gilles Ivaldi, chercheur à l'université de Nice et au CNRS. "Il y a un enjeu de leadership : aujourd'hui, on a vraiment l'impression que Marine Le Pen est contestée, ou a été contestée en tout cas, et c'est assez nouveau pour un parti comme le FN."

"Il y a un problème de ligne idéologique : personne ne sait aujourd'hui où le FN se situe, notamment sur l'Europe ou les questions économiques et sociales", selon Gilles Ivaldi.

Et, ajoute-t-il, "il y a une dimension stratégique sur laquelle le FN semble en perdition puisqu'il semblerait que Marine Le Pen ait abandonné son 'ni gauche ni droite'."

De fait, la fille de Jean-Marie Le Pen a axé en cette rentrée sa communication sur le thème de la sécurité en détaillant, lors d'une conférence de presse, ses propositions en la matière, en rendant visite à des policiers parisiens ou en se rendant à la prison de Vendin-le-Vieil (Pas-de-Calais), où des surveillants ont été agressés la semaine dernière.

(Edité par Yves Clarisse)