Le Maroc porte plainte à Paris après des accusations de torture

par Aziz El Yaakoubi et Chine Labbé RABAT/PARIS (Reuters) - Rabat a engagé des poursuites en France contre trois personnes et une association qui ont porté plainte pour torture contre le patron du renseignement Abdellatif Hammouchi, a annoncé le ministère marocain de l'Intérieur. Cette annonce intervient dans un climat tendu entre les deux pays, le gouvernement marocain ayant suspendu fin février les accords de coopération judiciaire conclus avec la France, après une série d'incidents diplomatiques. Le Maroc a protesté après que des policiers français se sont rendus à l'ambassade du Maroc à Paris en demandant à voir Abdellatif Hammouchi, en déplacement en France, suite à une convocation délivrée par un juge d'instruction français. Plusieurs plaintes ont récemment été déposées à Paris pour des faits de torture dans le centre de détention de Temara, au nord du Maroc, géré par la Direction générale de la surveillance du territoire (DGST), que dirige Abdellatif Hammouchi. Le Maroc a répliqué mardi en déposant une plainte auprès du parquet de Paris pour "dénonciation calomnieuse" à l'encontre de trois plaignants et de l'Action des chrétiens pour l'abolition de la torture (Acat), à l'origine des plaintes. "Le ministère de l'Intérieur dénonce de grossières manipulations par des individus qui ont été condamnés pour fraude et trafic international de stupéfiants", peut-on lire dans un communiqué. GEL DE LA COOPÉRATION JUDICIAIRE L'un des avocats du Maroc en France, Me Ralph Boussier, a dit à Reuters attendre "une condamnation sévère" de "ces trois repris de justice" et de l'association qui, dit-il, "se permettent de colporter des calomnies". Hélène Legeay, responsable des programmes Maghreb et Moyen-Orient à l'Acat dit n'avoir "aucune inquiétude sur l'issue de l'affaire". "C'est vraiment une façon de bâillonner les victimes", a-t-elle dit. "Ça ne donnera absolument rien." Pour tenter d'apaiser Rabat, François Hollande a appelé fin février le roi Mohammed VI pour lui adresser "un message de confiance et d'amitié". Deux ministres français se sont depuis rendus dans le royaume. Mais les autorités marocaines ont bel et bien suspendu toute coopération judiciaire avec Paris, bloquant de fait l'envoi de commissions rogatoires françaises au Maroc, les transfèrements de prisonniers, les demandes d'extradition et toutes les procédures pour les binationaux en matière de divorce, mariage et garde d'enfants. Aucune demande de coopération n'a été envoyée ni reçue depuis cette suspension et tous les actes en cours sont gelés, a déclaré à Reuters une source diplomatique. La coopération judiciaire entre Paris et Rabat est "très intense" en temps normal, souligne cette source. "On est dans une phase de négociation avec les Marocains, on espère que la coopération pourra reprendre dans les meilleurs délais", dit-elle. "Ça va prendre du temps", tempère toutefois une autre source diplomatique française. (avec John Irish à Paris, édité par Yves Clarisse)