Le Conseil de l’Europe tentera d’éviter un "Ruxit" à Helsinki
par Gilbert Reilhac
STRASBOURG (Reuters) - Les quarante-sept Etats membres du Conseil de l’Europe tenteront jeudi et vendredi à Helsinki de prévenir un départ de la Russie, en froid avec l’organisation de défense de la démocratie et des droits de l’homme, au risque d’étaler leurs divisions.
La Russie ne paye plus sa contribution au budget du Conseil de l’Europe depuis le 30 juin 2017, en réaction aux sanctions qui ont frappé sa délégation parlementaire, privée de ses droits de vote après l’annexion de la Crimée par Moscou, en 2014, puis de nouveau en 2015. Les parlementaires russes pratiquent depuis la chaise vide à Strasbourg.
Après deux ans de non-paiement, soit d'ici un mois et demi, Moscou s’expose à de nouvelles sanctions, cette fois au niveau du Comité des ministres, l’organe exécutif de l’organisation.
La Russie a annoncé par avance que, dans cette hypothèse, elle quitterait l’organisation.
"Si on souhaite que la Russie reste au sein du Conseil de l’Europe, ce n’est pas pour des raisons budgétaires, c’est pour la protection des droits des citoyens russes", souligne un diplomate qui souhaite rester anonyme mais exprime la position d’une majorité d’Etats et celle du Secrétaire général de l’organisation, le Norvégien Thorbjorn Jagland.
"Si nous expulsons un membre, en l’occurrence la Fédération de Russie, c’est 145 millions de personnes qui seront privées du droit de saisir la Cour européenne des droits de l’homme", déclarait ce dernier en juillet 2018 devant l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE).
LA FRANCE VA PRÉSIDER L'INSTITUTION
La Finlande, qui passera à Helsinki le relais de la présidence semestrielle du comité des ministres à la France, a préparé des conclusions qui répondent partiellement aux demandes de la Russie en rendant plus improbables de nouvelles sanctions contre sa délégation.
Emmanuel Macron a souhaité début mai que cela permette à la Russie de rester membre.
"Le Conseil de l’Europe a besoin de la Russie comme la Russie et les Russes ont besoin du Conseil de l’Europe, ce qui suppose que ses droits d’Etat membre soient respectés mais aussi que la Russie remplisse ses obligations à l’égard de l’institution", a-t-il dit lors d'une rencontre avec Thorbjorn Jagland à l'Elysée.
Ces conclusions mécontentent en revanche l’Ukraine et ses alliés : les pays baltes, la Géorgie, la Pologne et le Royaume-Uni.
"Cela revient à satisfaire les demandes de la Russie et à rétablir ses parlementaires dans leurs droits sans aucune contrepartie. Ce n’est pas de la diplomatie, c’est une reddition", a déclaré à Reuters Dmytro Kuleba l’ambassadeur ukrainien auprès du Conseil de l’Europe.
Selon des sources diplomatiques, le document préparatoire devrait réaffirmer les droits et les devoirs de tout Etat membre, soit le droit, pour les parlementaires russes, de siéger avec tous leurs pouvoirs, et le devoir pour la Russie de payer sa cotisation.
Une résolution, élaborée avec l’Assemblée parlementaire et le Secrétaire général, créerait par ailleurs un mécanisme de "réponse conjointe" permettant à chacun des trois organes de déclencher une procédure de contrôle du respect des principes de l'organisation par un Etat membre avec, à la clé, de possibles sanctions prononcées par le seul Comité des ministres.
L’APCE a approuvé en avril, par une majorité des deux tiers, ce même mécanisme, sans pour autant remettre en question son propre régime de sanctions considéré comme illégal par Moscou car non inscrit dans les statuts de l'organisation.
Une grande partie des parlementaires souhaitent son maintien au nom de la séparation des pouvoirs mais aussi, implicitement, en raison de l’incapacité du Comité des ministres à sanctionner les dérives de certains de ses membres.
L'UKRAINE PRÊTE A UN COMPROMIS
"On peut penser que s’il y a une nouvelle procédure et si elle est soutenue par un grand nombre de parlementaires, on devra recourir à celle-ci plutôt qu’à celle de l’APCE", veut croire le diplomate précité.
"La position de l’Ukraine est que la Russie devrait rester au Conseil de l’Europe mais qu’elle doit aussi envoyer un message clair selon lequel elle renonce à menacer ses voisins et à sa politique expansionniste", dit de son côté Dmytro Kuleba.
L’Ukraine n’exige pas comme préalable la fin de l’annexion de la Crimée, que demandait l’APCE, "une des questions les plus difficiles", selon l’ambassadeur, mais "des gestes humanitaires" comme la libération des prisonniers ukrainiens détenus en Russie, celle des "otages" dans la région séparatiste du Donbass ou des responsables Tatars en Crimée.
"Si nos lignes rouges ne sont pas prises en compte, nous voterons contre", affirme Dmytro Kuleba, à propos des conclusions d’Helsinki.
Une coalition des partisans d'une ligne dure vis-à-vis de Moscou pourrait imposer un vote à la majorité des deux tiers là où le consensus est habituellement la règle.
"On attend de la Russie des signaux positifs sur le plan politique", reconnaît le diplomate. Moscou, pour l’instant, n’en a donné aucun, mais le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, devrait être à Helsinki.
(Edité par Yves Clarisse)