Laurent Karila, psychiatre addictologue : “En France, 22% des gens sont des buveurs excessifs”

Deux mois après le “Dry january”, le challenge du mois sans alcool, Laurent Karila, psychiatre spécialisé en addictologie, s’est livré sur le phénomène d’addiction qui, selon lui, représente “le mal du siècle”. Auteur du livre "Docteur : addict ou pas ?" (ed. Harper Collins), il a partagé, pour Yahoo, quelques astuces pour reconnaître toute forme de dépendance chez un individu.

“C’est un vrai problème de santé publique”. C’est par ces mots que Laurent Karila, psychiatre spécialisé en addictologie, souhaite alerter les autorités sanitaires. Comme il le rappelle, les addictions représentent l’un des maux les plus importants de notre siècle. Et parmi elles, celle à l’alcool. Toutefois, il n’est pas toujours évident de reconnaître les signes de dépendance. Alors pour ce faire, il préconise notamment de se fier aux recommandations de Santé publique France, soit “pas plus de deux verres par jour, pas tous les jours, avec un ou deux jours sans consommer”. Autrement dit, dix verres par semaine au maximum, des verres standard équivalents à 10 grammes d’alcool. Et lors d’une occasion, “ce n’est pas plus de quatre verres espacées le temps de la soirée”.

Ainsi, si vous vous situez hors de ces “normes”, comme 22% des Français, vous êtes donc dans ce que l’on appelle l’usage excessif. Un phénomène qui peut entraîner une réelle addiction à long terme. Concrètement, plus ce comportement perdurera dans le temps, plus les doses augmenteront et plus les symptômes de manque apparaîtront : tremblements, sueurs, anxiété, nervosité, angoisse.

Malheureusement, comme il le déplore, il est souvent trop tard pour celles et ceux qui en sont victimes. “Il n’y a pas assez de prévention en France”, regrette-t-il tout en revenant sur le terrible constat du Dry january, le challenge du mois sans alcool. “Le défi n’est pas du tout soutenu par nos instances. Je pense qu'il faut mettre le paquet parce que l'addiction, c'est qu’une face émergée d'un problème sous-jacent qui est multiple. Lorsque l’on soigne un addict, on soigne son problème avec sa substance et/ou son problème avec son comportement. Mais il faut soigner toutes les racines”.

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"On consomme pour ne pas souffrir"

À noter que la prise de conscience peut également se faire d’une toute autre manière. En effet, pour repérer une addiction, Laurent Karila a partagé un moyen mnémotechnique qu’il a lui-même établi, la règle des cinq C : une perte de contrôle comportementale ; un usage compulsif ; un craving (l’envie irrépressible de consommer) ; une consommation chronique et des conséquences désastreuses sur la vie. En parallèle, la personne addict sera également en proie à une dépendance physiologique. Autrement dit, elle éprouvera des symptômes de manque et/ou sera confrontée à un phénomène de tolérance. Elle aura donc constamment besoin d’augmenter les doses pour retrouver les effets de la première fois. “Dans l'addiction, il y a la perte de la liberté de s'abstenir. On consomme pour ne pas souffrir alors que dans le plaisir, eh ben c'est que de la récompense positive, c'est que des émotions positives, c'est que des choses hyper cool".

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Comme il le rappelle, la pression sociale joue également un rôle important dans le phénomène d’addiction. “Notre société est très speed, très addictogène. C’est un facteur qui va impulser des problèmes au niveau personnel, sociétal et jouer un rôle dans un des facteurs qui peut entraîner une addiction”. Parmi les addictions les plus courantes, on retrouve notamment celle au sexe. Un véritable trouble qui consiste en une perte de contrôle de sa sexualité qui devient excessive dans “la vie réelle” ou en “virtuel”. Ce dernier point comprend notamment “les échanges érotiques, les applications de rencontre, les sites pornos en streaming, massivement accessibles ou encore les webcam sex”. Concrètement, “c'est exactement la même chose qu'une addiction à de l'alcool ou à du tabac mais cette fois-ci, c'est le sexe qui est la source de l'addiction”.

"On ne dort plus"

Laurent Karila évoque également l’addiction aux séries, aussi appelée “binge-watching”. Comme il le déplore, les séries sont aujourd’hui bien ficelées pour accrocher le spectateur et l’entraîner dans une sorte de puits sans fond, une spirale compulsive. “Lorsque l’on ne fait plus que cela, cela peut devenir pathologique. On est moins performant au travail, on mange n’importe quoi et on ne dort plus. Le big boss de Netflix avait notamment fait savoir que son principal ennemi était le sommeil. Il voulait qu’il y ait constamment un maximum de personnes qui se connectent sur sa plateforme”.

Enfin, le recours à la chirurgie esthétique fait également partie des comportements à risque. Ces opérations, plus ou moins risquées, ont fait un bond phénoménal ces dernières années et peuvent être à visée thérapeutique, physique et psychique. Mais attention à ne pas trop en abuser. “Vous avez des filles qui se modélisent par rapport à une beauté absolue retrouvée sur les filtres des réseaux sociaux et qui surconsomment la chirurgie esthétique. Cela peut devenir problématique et pathologique”, alerte-t-il tout en rappelant les risques physiques et psychiques liés à ce comportement addictif.

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