Laura Poitras : “Nan Goldin est une dissidente qui a mis le monde de l’art sens dessus dessous”

Pourquoi et comment avez-vous décidé de faire ce film sur la photographe Nan Goldin ?

Tout a commencé par son activisme. Au départ, Nan Goldin a commencé à filmer les premières actions, comme celle du Metropolitan Museum of Art de New York. [Ces actions dans des musées visaient à dénoncer le rôle de la famille Sackler, propriétaire de Purdue Pharma, dans la crise des opioïdes.] J’étais impressionnée par ses actions, par le fait qu’elle affrontait les musées et qu’elle utilisait son pouvoir dans le monde de l’art pour cette cause. J’ai donc d’abord suivi les choses de l’extérieur.

Nan Goldin et moi, nous nous étions déjà rencontrées mais nous n’étions pas proches. Un peu plus d’un an après le début de ces actions, nous avons pris rendez-vous pour discuter d’un autre cas de philanthropie toxique dans le monde de l’art. À cette occasion, j’ai remercié Nan Goldin pour son militantisme et elle m’a dit qu’elle avait tout documenté. J’ai trouvé cela formidable car je pense qu’il est important que l’histoire soit documentée, que de tels moments soient enregistrés. Et j’avais l’impression qu’à travers ses actions elle était à l’origine d’un vrai changement de paradigme dans le monde de la culture.

Elle m’a dit qu’elle était à la recherche de producteurs pour rejoindre le projet, je n’ai pas arrêté d’y penser. Je lui ai ensuite demandé si elle avait aussi besoin d’une réalisatrice et elle m’a répondu par l’affirmative. Nous avons donc décidé de nous revoir.

Comment s’est déroulée cette deuxième prise de contact ?

Je suis arrivée en retard et complètement trempée à ce rendez-vous en raison d’un énorme orage. Une fois chez elle, je lui ai dit que j’avais besoin de me changer, car mes vêtements étaient mouillés. Je me suis retrouvée dans sa salle de bains, en train d’enfiler un de ses tee-shirts, et là nous avons commencé à parler. Elle m’a raconté l’exposition qu’elle avait organisée au plus fort de l’épidémie de sida, en 1989 [que l’on voit à travers des images d’archives dans le documentaire]. J’ai été immédiatement hantée par le titre de cette exposition : “Witnesses : Against our Disparition” [“Témoins contre notre disparition”]. C’est à la fois d’une grande poésie, mais c’est aussi un geste de défi. Cela voulait dire en substance : “Nous assistons à notre disparition et nous nous y opposons.”

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