Comment l'attentat de Magnanville a profondément marqué policiers et gendarmes

Sept ans après l'assassinat du couple de policiers à son domicile de Magnanville par un terroriste, les forces de l'ordre restent marquées ou traumatisées par cette attaque.

Comment l'attentat de Magnanville a profondément marqué policiers et gendarmes

Le drame avait bouleversé la France et plus particulièrement les forces de l'ordre. Le 13 juin 2016, Jean-Baptiste Salvaing, commandant, adjoint du chef de la sûreté urbaine du commissariat des Mureaux, et sa compagne Jessica Schneider, agent administratif au commissariat de Mantes-la-Jolie étaient tués à leur domicile de Magnanville (Yvelines), sous les yeux de leur petit garçon de trois ans.

Le responsable? Larossi Abballa, un homme de 25 ans, condamné en 2013 pour sa participation à une filière jihadiste. Avant d'être abattu par le Raid, l'assaillant avait revendiqué son geste au nom du groupe État islamique.

Sept ans après, c'est son complice présumé qui comparaît, à partir de ce lundi, devant la cour d'assises spéciale de Paris pour complicité d'assassinats terroristes. Aujourd'hui âgé de 30 ans, Mohamed Lamine Aberouz est soupçonné d'avoir aidé Larossi Abballa dans son entreprise terroriste et d'avoir été présent au domicile du couple, le soir de l'attaque. Son ADN a été retrouvé sur le repose-poignet de l'ordinateur de Jean-Baptiste Salvaing et de Jessica Schneider, utilisé par le terroriste pour revendiquer son geste.

"On a compris qu'on était des cibles"

Sept ans après ce drame, les forces de l'ordre restent marquées par cet assassinat, perpétré au domicile du couple de policiers. "Ce jour de juin, ce sont toutes les forces de l'ordre qui ont été choquées. On est venu dans notre intimité, chez nous, pour nous tuer devant nos enfants. C'était la première fois où on était victime du terrorisme à la maison", explique à BFMTV Jean-Christophe Couvy, secrétaire national du syndicat Unité SGP Police FO, qui s'est constitué partie civile au procès.

Pour Stéphane Liévin, policier et vice-président de l’Agora des citoyens de la police et de la justice (ACPJ), cet assassinat a marqué un tournant pour les forces de l'ordre: "À partir de ce moment-là, les policiers ont conscience qu'ils peuvent, à tout moment, lorsqu'ils sont à l'extérieur, en civil, dans leur vie privée, croiser quelqu'un. Il peut arriver que des policiers se fassent agresser en mission, mais on n'imagine évidemment jamais qu'on puisse être agressé et tué de cette façon, et surtout que ça ait une conséquence sur sa famille", raconte-t-il à BFTMV.

Les deux policiers sont formels, depuis ce drame, "la crainte de se faire agresser hors service a augmenté" chez les forces de l'ordre. "À partir des attentats de 2015 et du drame de Magnanville en 2016, où on a compris qu'on était des cibles pour les terroristes, notre vie a changé", ajoute Jean-Christophe Couvy.

Arme hors service et itinéraire différent

Les semaines qui ont suivi l'assassinat du couple, certains policiers ont changé leurs habitudes, en commençant par garder leur arme de service, en dehors de leurs heures de travail. "Certains collègues, moi le premier, rentraient chez eux et faisaient des progressions avec leurs armes, parce qu'on avait l'impression qu'on était attendus par des terroristes à la maison, on faisait des transferts", se souvient Jean-Christophe Couvy.

D'autres, "prenaient différents chemins sur le trajet domicile-travail, ils faisaient trois fois le tour d'un rond-point pour voir s'ils n'étaient pas suivis", poursuit-il. Certains vont même jusqu'à ne pas dire à leurs enfants qu'ils sont policiers pour ne pas les mettre en danger.

"On est obligés de se mettre en retrait de la société, on habite loin de notre lieu de travail, on ne va pas faire nos courses là où on travaille, c'est tout un système qui nous assomme", déplore le syndicaliste.

Au moment du drame de Magnanville, les policiers ont déjà le droit de porter leur arme en dehors de leur service, la mesure ayant été instauré dans le cadre de l'état d'urgence décrété en France après les attentats du 13 novembre 2015. Mais en 2016, le ministre de l'Intérieur de l'époque, Bernard Cazeneuve, accepte de prolonger la mesure, à la demande des syndicats.

Depuis 2006, les policiers chargés de la lutte contre le terrorisme ont le droit de ne plus inscrire leurs noms dans les procès-verbaux mais leur matricule RIO. Depuis février 2017, la mesure a été étendue à tous les fonctionnaires "lorsque la révélation de leur identité est susceptible de mettre en danger leur vie ou leur intégrité physique".

Néanmoins, ils doivent avoir l'autorisation de leurs supérieurs. "On réclame l'anonymisation pour toutes nos procédures, que nos noms ne soient pas jeté en pâture. On voit bien que les policiers sont suivis chez eux, encore", déplore Jean-Christophe Couvy.

Des conséquences sur les familles

Mais pour Stéphane Liévin, les conséquences psychologiques de ces événements ne sont pas toujours évaluées. "Les policiers, qui accumulent dans leur service des situations traumatiques, ont du mal à se distancier de ça, ils envisagent ça pour eux-mêmes, pour leurs familles", explique-t-il.

Pourtant, il existe le SPO, le service de soutien psychologique opérationnel, depuis 1996. "Ce sont des psychologues qui se mettent à la disposition des policiers pour débriefer les situations traumatiques qui peuvent être vécues". Mais les policiers n'ont pas encore assez le réflexe de ces consultations, selon lui : "Il y a un effet viriliste. Quelqu'un qui dirait qu'il ne va pas bien suite à une exposition à un trauma pourrait être vu comme quelqu'un de faible". Et dans l'équation, il n'y a pas que les policiers, il y a aussi leurs familles.

"Après les attentats de 2015, où certains collègues ont été traités pour du stress post-traumatique, on s'est aperçu que certaines familles avaient développé ce type de troubles", décrypte Stéphane Liévin.

Selon lui, certaines familles hésitent même à dire que leur père, leur mère, leur conjointe ou leur conjointe travaille dans la police. Sept ans après le drame de Magnanville, "on a envie de se dire qu'il faut que rien ne change, qu'il ne faut surtout pas céder à cette peur. Si on arrive à revenir à une vie 'normale', où un policier doit être sur ses gardes, sans s'attendre à ce genre de fait, c'est évidemment l'idéal. Sauf qu'on ne vit pas dans un monde idéal", regrette Stéphane Liévin.

Pour l'ensemble des forces de l'ordre, mais tout particulièrement pour les anciens collègues du couple, ces deux semaines et demie de procès vont très certainement raviver un traumatisme, estime Stéphane Liévin, mais constitue une étape du deuil, selon: "Ça va être un moment de communion pour les collègues de Jessica et Jean-Baptiste (...) le procès fait partie d'un processus de reconstruction. Mais ça restera un traumatisme qui ne sera jamais totalement oublié".

Article original publié sur BFMTV.com

VIDÉO - Procès de l'attentat de Magnanville : "L'émotion des policiers est palpable"