"L'arroseur arrosé": le RN pris à son propre piège après la commission d'enquête sur les ingérences étrangères
Une conclusion embarassante pour le Rassemblement national. La commission d'enquête sur les ingérences étrangères, lancée pourtant à sa propre initiative en octobre, taxe le mouvement de "courroie de transmission" avec la Russie.
"Ils se sont tirés une balle dans le pied tout seul. Ça leur revient comme un boomerang. C'est vraiment l'arroseur arrosé", juge le député écologiste Julien Bayou, membre de la commission d'enquête, auprès de BFMTV.com.
Une commission d'enquête pour "laver l'honneur" du RN
En octobre dernier, le mouvement longtemps dirigé par Marine Le Pen avait pourtant utilisé son droit de tirage qui lui permet de lancer une commission d'enquête annuelle pour approfondir la question des ingérences étrangères.
Avec un but très clair: lever les soupçons de collusion qui pèsent entre Marine Le Pen et la Russie et qui ont lui valu une passe d'armes avec Emmanuel Macron lors du débat de l'entre-deux-tours de la dernière présidentielle.
"Nous convoquons cette commission avec une certaine impatience, pour laver notre honneur", assume alors Jean-Philippe Tanguy, le futur président de la commission, qui y voit aussi le moyen que "la démocratie reparte sur des bases saines".
Des interrogations sur le prêt russe de Marine Le Pen
Pas question dans l'esprit du député RN de se concentrer uniquement sur la Russie. Chine, Maroc, Qatar... La commission qui passe au crible les multiples ingérences possibles entre la France et des pays étrangers se concentre cependant rapidement sur la Russie.
Un temps très cordiaux, les rapports se tendent ces dernières semaines entre la rapporteure Renaissance Constance Le Grip et Jean-Philippe Tanguy. Si c'est bien le président de la commission qui a la main sur l'agenda des personnes convoquées, Constance Le Grip insiste pour auditionner Marine Le Pen lors de la dernière ligne droite de la commission.
La patronne des députés RN est finalement interrogée près de quatre heures fin mai. Elle revient lors de son audition sur un emprunt russe contracté en 2014 lors des élections régionales. Face aux refus de l’intégralité des banques françaises, le mouvement avait à l'époque été contraint de passer par une banque privée russe afin de se faire prêter neuf millions d’euros.
"Je signe un prêt avec une banque, je ne signe pas un prêt avec Vladimir Poutine", se justifie alors l'élue du Pas-de-Calais devant la commission.
Avant de lancer: "Si cela m'avait engagé à quoi que ce soit, je n'aurais pas signé".
Le RN "aligné" sur "le discours russe"
Autre sujet qui suscite l'intérêt des parlementaires de la commission d'enquête: son positionnement sur la Crimée. "Je considère que, librement, les habitants de Crimée se sont exprimés par le vote pour être rattachés à la Russie", lance encore la patronne des députés RN devant la commission d'enquête.
Ce rattachement avait été fortement critiqué à l'époque sur la scène internationale. L'élue avait, à la suite de propos de soutien à la Russie, été interdite de séjour à Kiev.
De quoi pousser la rapporteure Constance Le Grip à taper fort dans les conclusions de son rapport qui ont fuité ce jeudi auprès de RMC et Mediapart. On peut y lire que le RN fut "aligné" sur le "discours russe" au moment de "l'annexion illégale" de la Crimée en 2014, quelques mois donc avoir négocié un prêt auprès d'une banque moscovite.
Un rapport "malhonnête" pour Marine Le Pen
En déplacement dans le Pas-de-Calais, Marine Le Pen fait savoir sa colère. "Ce rapport est à l’image de la rapporteuse, c’est-à-dire sectaire, malhonnête et tout à fait politisé", avance l'ex candidate à la présidentielle.
"Ce rapport est un jugement sur les positions politiques que j’ai pu prendre. Ce n’est pas un jugement sur l’ingérence", tance encore la quinquagénaire.
En fin de journée jeudi, les mauvaises nouvelles s'accumulent. Julien Bayou, membre de la commission, évoque "un faux témoignage" de Marine Le Pen sur le prêt russe et annonce vouloir transmettre un courrier au bureau de l'Assemblée nationale afin qu'il saisisse la justice. Les faux témoignages devant une commission d'enquête sont passibles de sanctions pénales.
Des "accusations grotesques"
Jean-Philippe Tanguy reste, lui, droit dans ses bottes.
"Ces accusations sont complètement grotesques et infondées. Julien Bayou n'a d'ailleurs servi à rien dans cette commission", nous explique le président de la commission d'enquête.
"Je doute que ces accusations prospèrent", ajoute encore le député proche de Marine Le Pen qui ne nie cependant pas une "certaine naïveté".
"J’ai présidé cette commission sans incident, on est consensuel, on accepte tout. Et à la fin, boum! Je m’en veux. C’est mon côté un peu neuneu, naïf, que je concède", avance l'élu auprès du Monde.
Un rapport qui "passe à côté de beaucoup de choses"
Preuve cependant que les conclusions du rapport ne font pas l'unanimité: il a été adopté par les députés de la commission d'enquête avec 11 voix pour et 5 contre. Les 2 membres de La France insoumise, membres de l'organe, se sont abstenus.
"Le rapport passe à côté de beaucoup de choses. Il n'y a pas vraiment de réflexion très aboutie sur les mécanismes de corruption dans les conclusions et pour moi, c'est manichéen de dire que seules les dictatures font de l'ingérence", avance le député Aurélien Saintoul, membre de la commission.
François Fillon, auditionné pour avoir siégé dans des conseils d'administration russes avant d'en démissionner sous la pression après le début de la guerre en Ukraine avait d'ailleurs affirmé avoir "été écouté" par les services secrets américains.
Constance Le Grip, elle, persiste et signe. "Le Rassemblement national relaie de manière permanente et assez complaisante les éléments de langage et les positions du Kremlin. Il y a un véritable relais des positions russes", juge la rapporteure.
Du côté du RN, l'ambiance n'est pas aux regrets. "Ça nous pète un peu au visage là tout de suite, mais au moins maintenant, on a un rapport avec des faits établis qui nous éviteront qu'on nous reproche des choses totalement inexactes par la suite", veut croire un membre du groupe à l'Assemblée nationale.