"L'armoire à pharmacie est l’arsenal parfait pour des violeurs": sa mère était droguée par son mari puis livrée à des inconnus

La mère de Caroline Darian a été droguée pendant des années, à son insu, par son mari qui la livrait à des inconnus. Aujourd'hui, cette femme de 43 ans sort un livre pour alerter sur le phénomène qu'est la soumission chimique.

"Il y a des femmes, j’imagine, qui s’ignorent aujourd’hui. Il faut en parler, il faut que ça soit relayé." La mère de Caroline Darian a été victime pendant des années de soumission chimique. Son mari lui administrait à son insu des anxiolytiques et des somnifères pour ensuite la livrer à des inconnus. Des crimes qu'il avait filmés et conservés. Cette affaire familiale tragique, cette femme de 43 ans a décidé d'en faire un livre, Et j'ai cessé de t'appeler papa*, pour alerter sur ce phénomène méconnu, prévenir et protéger d'autres victimes.

L'homme de 68 ans, avec lequel sa famille a coupé tout contact, a été mis en examen pour " viols aggravés, agressions sexuelles et administration de substances nuisibles", et placé en détention. A ce stade, une quarantaine d'auteurs ont été identifiés sur les 70 comptabilisés à partir des vidéos. S'il est commun d’avoir un auteur pour plusieurs victimes, il est plus rare d'avoir une victime et autant d’auteurs. Ça va être un moment compliqué", admet Caroline Darian évoquant le procès qui attend sa famille une fois que l'instruction sera close.

· BFMTV.com: Votre père est placé en garde à vue le 2 novembre 2020. Comment les policiers sont remontés jusqu'à lui?

Caroline Darian: "L’affaire relève du miracle. L’origine de l’affaire, c’est mon père surpris en train de filmer sous la jupe de trois femmes dans un supermarché. Ces trois femmes vont porter plainte et il va être mis en garde à vue. A partir de ce moment-là, ils vont perquisitionner son téléphone, et c’est sur son portable qu’ils vont réaliser que c’est beaucoup plus grave que ça. Ils vont aller perquisitionner son domicile, et récupérer l’ensemble de son matériel informatique. Derrière, ça va être des semaines d’expertises, d’analyses au cordeau. Les officiers de police du commissariat de Carpentras ont tout simplement pris cette affaire très au sérieux dès le départ et ils ont fait un travail remarquable. S’il n’y a pas ces trois femmes qui portent plainte, ça passait inaperçu".

Que découvrent les enquêteurs?

"On parle de 20.000 photos et vidéos à caractère pornographique, en grande partie de ma mère. Des photos qui montrent une femme droguée qui se fait sexuellement agresser. Tout était organisé, orchestré de telle façon qu’il n’y avait pas de traces. Les hommes qui ont œuvré ont fait en sorte d’agir le plus 'proprement du monde'. On sait qu'ils communiquaient par téléphone, se rendaient à pied à la maison. Il ne fallait pas qu'ils sentent l'alcool ou le tabac. Ils devaient se laver ses mains à l’eau chaude pour éviter les micro réveils. Ces personnes-là ont agi en pleine conscience. En tout cas, celles qui ont été jusqu’au viol savaient très bien ce qu’elles faisaient.

Ce qui me frappe c’est qu’après la phase #metoo, après toutes ces phases de dénonciation, de voir qu’on en est encore à considérer que le consentement d’une femme n’existe pas, que le mari a le droit de regard sur le corps de sa femme. La majorité des auteurs ont entre 22 et 70 ans. On parle de gens qui ont des métiers, qui sont installés, de pères, de grands-pères, pour la plupart."

Les faits reprochés à votre père s'étendent sur une période allant de 2011 à 2020. A aucun moment votre mère ne s'est doutée de ce qu'il se passait?

"Ce qu’il faut comprendre, c’est que c’était tout à fait simple. C’était dans son verre d’eau à table, le midi ou le soir, ça pouvait aussi être dans son assiette, à partir du moment où les médicaments étaient écrasés et mélangés. Tout ça était absolument prémédité. Ca se faisait totalement à son insu. Ce genre de substances agit relativement assez rapidement. Derrière ça pouvait entraîner plusieurs heures de pertes de connaissance. Sur la fin, c’était au moins plusieurs fois par semaine".

Pourtant, elle avait consulté des médecins?

"Ma mère avait perdu beaucoup de poids. Elle perdait beaucoup ses cheveux, elle était anémiée. Son rythme de sommeil était complètement déréglé, elle souffrait d’insomnies. Ma mère a vu trois neurologues, des médecins généralistes. Evidemment, elle avait ses examens de routine. Elle voyait son gynécologue au moins deux fois par an. C’est passé totalement en-dessous des radars parce que les professionnels de santé ne sont absolument pas sensibilisés, ni même formés, à détecter ce type de cas. On ne peut pas imaginer ce qu’on ne sait pas. Quand on voit une femme d’une soixantaine d’années, on ne peut imaginer qu’elle est potentiellement droguée par son propre mari. La preuve en est, ça a pu se produire, et pas qu’une fois, mais des dizaines et des dizaines de fois".

Avec quelles substances, votre père a-t-il drogué votre mère?

"Avec des anxiolytiques et des somnifères. L’armoire à pharmacie familiale peut devenir l’arsenal parfait pour des violeurs. La question qui se pose et pour laquelle on n'a pas encore de réponse, c'est comment a-t-il pu se procurer autant de médicaments? Ça pose la question d’un meilleur contrôle ou de plus de vigilance dans la façon dont les médicaments sont aujourd’hui délivrés.

Ça aurait pu tourner au drame, ma mère aurait pu tomber dans le coma, faire un arrêt cardiaque, lié au surdosage".

Avec votre livre, vous souhaitez sensibiliser au phénomène de la soumission chimique...

"La soumission chimique, dans l’esprit des gens, ça se restreint à du GHB dans un verre d’alcool dans un bar, et surtout dans la population étudiante. Pas du tout! La soumission chimique, c’est bien plus large. La perte de conscience est la première des choses qui doit alerter les professionnels de santé. Une femme qui vous dit 'je ne me souviens plus de ce que j’ai fait la veille', ça devrait déclencher automatiquement une analyse toxicologique. Il faut alerter. Si on nous avait alertés, ça n’aurait jamais duré dix ans.

L’objectif pour moi, c’est surtout que cette affaire hors sol, hors norme, tout à fait exceptionnelle, puisse servir le sujet".

Cette affaire "hors norme" s'est produite dans une famille que vous décrivez comme "normale"...

"Avant cela, il n’y avait pas eu de dysfonctionnements apparents. On était une famille tout ce qui a de plus normale, heureuse, j’ai même envie de dire exemplaire. On avait l’image d’une famille unie. Mes parents avaient quitté la région parisienne pour s'installer dans le Vaucluse. Ma mère était quelqu’un de très actif. Elle a travaillé jusqu’à l’âge de 63 ans, elle avait un poste à responsabilités dans une entreprise privée. A aucun moment, ma maman a été sous emprise. La soumission a été d’abord et avant tout chimique".

Vous pensez vous aussi avoir été victime de votre père...

"Il existe des clichés sur lesquels je pense que j’ai moi-même été soumise chimiquement. C’est la raison pour laquelle je me suis constituée partie civile dans ce dossier. L’instruction fera son œuvre mais effectivement ça pose question".

Après le "séisme" et le "choc" des révélations et les "doutes" qui persistent, comment va votre famille aujourd'hui?

"On apprend à vivre avec. Ce n’est pas simple, c’est aussi pour ça que j’ai souhaité écrire. Ca a aussi une fonction thérapeutique. Ma mère est une femme debout, qui est forte, digne, et qui, tous les jours, essaie d’avancer, d’avoir une vie normale même si ce sont cinquante ans de sa vie qui sont derrière elle. C’est une femme qui regarde droit devant, qui attend la fin de l’instruction, et qui attend ce procès pour pouvoir continuer à vivre aussi".

* Et j'ai cessé de t'appeler papa, de Caroline Darian. Edition JC Lattès. Sortie mercredi 6 avril.

Article original publié sur BFMTV.com

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