L'armée turque pénètre en Syrie, se heurte aux miliciens kurdes

par Dominic Evans

AZAZ, Syrie (Reuters) - Des troupes turques sont entrées dimanche en territoire syrien, dans la région d'Afrin, a annoncé le commandement turc au troisième jour d'une opération visant à chasser les milices kurdes YPG de cette enclave du nord de la Syrie.

Les YPG (Unités de protection du peuple), soutenues par les Etats-Unis mais considérées par Ankara comme une organisation terroriste, affirment avoir repoussé l'armée turque et ses alliés au prix de combats farouches.

L'opération "Rameau d'olivier", préparée dès la nuit de jeudi à vendredi par des tirs de barrage d'artillerie, a été suivie samedi par des raids de l'aviation et formellement lancée par le président Recep Tayyip Erdogan.

Selon Birusk Hasaka, porte-parole des YPG à Afrin, plusieurs localités ont encore été visées dimanche par des pilonnages d'artillerie et des frappes aériennes, tandis que des combats au sol se déroulaient au nord et à l'ouest d'Afrin.

"L'opération Rameau d'olivier se poursuit comme prévu et les opérations au sol ont commencé", a annoncé l'armée turque, deuxième plus gros contingent de l'Otan derrière celui des Etats-Unis.

Cité par la chaîne de télévision HaberTurk, le Premier ministre Binali Yildirim a déclaré qu'Ankara entendait créer une zone de sécurité s'avançant d'une trentaine de kilomètres en territoire syrien.

"Nos avions ont décollé et commencé à bombarder. Et l'opération au sol est en cours. On voit les YPG fuir Afrin", a déclaré le président Erdogan. "Nous les pourchasserons. Si Dieu le veut, nous achèverons cette opération très rapidement."

25.000 REBELLES DE L'ASL MOBILISÉS

Environ 25.000 rebelles de l'Armée syrienne libre (ASL) participent à l'opération au côté de l'armée turque dans le but de reprendre la ville arabe de Tel Rifaat et des localités alentour capturées par les YPG en février 2016, a déclaré dimanche à Reuters un officier de l'ASL.

Le commandant Yasser Abdoul Rahim, chef de Failak al Cham, l'une des principales factions de l'ASL, a assuré que ses forces ne chercheraient pas à entrer dans Afrin, ville à majorité kurde, mais qu'elles espéraient l'encercler et forcer ainsi les YPG à la quitter.

Une roquette a été tirée de Syrie sur la ville-frontière turque de Reyhanli dimanche, faisant un mort - un ressortissant syrien - et 32 blessés, selon le maire de la ville cité par la chaîne turque NTV. Trois roquettes au total ont été tirées sur Reyhanli, a rapporté CNN Turk.

Recep Tayyip Erdogan a accusé certains alliés de la Turquie d'avoir fourni en munitions aux YPG l'équivalent de 2.000 cargaisons d'avion et 5.000 cargaisons de camions.

Son ministre des Affaires étrangères Mevlut Cavusoglu a déclaré que quiconque s'opposerait à l'intervention turque serait considéré par Ankara comme complice de groupes terroristes et traité en conséquence.

Le chef de la diplomatie turque, qui s'adressait à des journalistes, a également dit attendre de la France qu'elle soutienne l'opération.

Paris a exhorté dimanche matin Ankara à agir avec retenue et demandé une réunion urgente du Conseil de sécurité des Nations unies sur la situation dans l'ensemble de la Syrie.

L'Iran, allié de Damas, a de son côté réclamé l'arrêt immédiat de l'intervention.

UN TIR TOUTES LES TROIS MINUTES

Des membres de l'Armée syrienne libre (ASL) ont dit s'être emparés d'un village kurde sans qu'on leur oppose de résistance et avoir entamé des opérations de déminage.

Du côté des YPG, on affirme toutefois avoir repoussé l'offensive terrestre turque.

"Toutes les attaques terrestres contre Afrin ont pour l'heure été repoussées et ils ont été contraints à la retraite", a déclaré Nouri Mahmoudi, un responsable des YPG.

Des milliers de personnes se sont rassemblées dans la ville frontalière d'Amouda dans le nord-ouest de la Syrie en promettant de résister à "l'occupation turque", a rapporté un témoin.

A Ankara et Istanbul, les forces de sécurité turques ont dispersé à l'aide de gaz au poivre des manifestants prokurdes protestant contre l'opération.

L'armée turque a déclaré que ses avions de combat avaient touché dimanche 45 cibles - abris, dépôts d'armes - liées aux YPG.

Présent du côté turc de la frontière, un journaliste de Reuters a pu entendre dans la matinée les détonations des projectiles lancés par l'armée turque, au rythme d'environ un tir toutes les trois minutes.

Plusieurs convois militaires ont en outre été aperçus prenant la direction de la frontière. L'un transportait plusieurs chars.

Ankara assimile les YPG aux séparatistes du PKK, le Parti des travailleurs du Kurdistan qui combat les forces turques depuis 1984 dans le sud-est de la Turquie. Mais les YPG sont aussi les alliés de Washington au sein des Forces démocratiques syriennes (FDS), dont elles sont le fer de lance de la lutte contre les groupes djihadistes.

L'offensive fait suite à de nombreux avertissements lancés ces dernières semaines par le pouvoir turc. Ankara a été particulièrement heurtée par l'annonce que les Etats-Unis allaient prendre en charge la formation d'une force de 30.000 hommes dans l'Est syrien contrôlé par les FDS.

(Avec Ezgi Erkoyun à Istanbul, Orhan Coskun, Tuvan Gumrukcu et Ece Toksabay à Ankara, Ellen Francis à Beyrouth, Suleiman Al Khalidi à Amman, Julie Carriat à Paris, Nicolas Delame et Jean-Stéphane Brosse pour le service français)