L'accord Turquie-USA contre l'Etat islamique prend corps

par Humeyra Pamuk ISTANBUL (Reuters) - La Turquie a annoncé mercredi que la coalition mise en place par les Etats-Unis contre le groupe Etat islamique (EI) lancerait "prochainement" depuis les bases aériennes turques une "bataille globale" contre l'organisation extrémiste sunnite dans le nord de la Syrie. Confirmant une information de CNN, le Pentagone a déclaré que les Etats-Unis avaient mené leur première frappe de drone contre l'EI à partir de la Turquie, ajoutant que des raids à l'aide d'avions de combat étaient également en préparation. L'engin sans pilote a décollé lundi de la base d'Inçirlik et attaqué une cible en territoire syrien, a déclaré le porte-parole du département de la Défense Jeff Davis. "Dans le cadre de notre accord avec les Etats-Unis, nous avons progressé pour ce qui concerne l'ouverture de nos bases, en particulier celle d'Inçirlik", a dit le ministre turc des Affaires étrangères, Mevlut Cavusoglu, à la chaîne publique TRT. "Nous assistons à l'arrivée d'avions américains avec ou sans pilotes et nous lancerons prochainement ensemble une bataille globale contre l'Etat islamique", a-t-il poursuivi en marge d'un déplacement en Malaisie. Ankara a opéré un changement radical en autorisant le mois dernier, à la suite de l'attentat suicide de Suruç, que des avions de la coalition mise en place par les Etats-Unis contre l'EI utilisent ses bases aériennes. La Turquie, pièce maîtresse de l'Otan sur son flanc sud-est, et les Etats-Unis collaborent à l'élaboration de plans visant à apporter une couverture aérienne à des rebelles syriens formés par les Etats-Unis et opérant dans le nord de la Syrie, ainsi qu'à repousser l'Etat islamique d'une bande de territoire sur la frontière avec la Turquie. UN PLAN DIFFICILE À METTRE EN OEUVRE Cette "zone de sécurité" pourrait couvrir un secteur de 80 km de long sur 25 km environ de large, au nord-est d'Alep. Au sol, une soixantaine de rebelles syriens lourdement équipés, formés par les Etats-Unis et incorporés dans une entité nommée "Nouvelles forces syriennes", pourraient réclamer un appui aérien. De sources diplomatiques, on observe que couper les voies d'accès du groupe djihadiste à ce secteur de la frontière, par lequel transitent combattants étrangers et approvisionnements, pourrait sensiblement modifier la donne. Mais la mise en oeuvre du plan est ardue: Washington a déclaré mardi qu'une demi-douzaine de membres de ces Nouvelles forces syriennes avaient été capturés ces derniers jours par des miliciens du Front al Nosra, une composante islamiste de la rébellion syrienne. D'après Cavusoglu, "se joindre (à ce plan) intéresse d'autres pays au sein de la coalition, comme la Grande-Bretagne et la France, tandis que parmi les pays de la région, il est possible que l'Arabie saoudite, le Qatar et la Jordanie y prennent part". La Turquie aurait proposé à plusieurs pays, dont la France, d'utiliser ses bases aériennes. Selon une source diplomatique française, une réflexion est en cours à ce sujet au Quai d'Orsay où l'on réaffirme toutefois le refus de toute intervention militaire en Syrie. La semaine dernière, lors du dîner de l'Association de la presse présidentielle, François Hollande a redit que la France n'entendait toujours pas intervenir militairement en Syrie, sous quelque forme que ce soit. INITIATIVES Cité par la télévision publique syrienne, le ministre des Affaires étrangères Walid al Moualem a déclaré mercredi que le pouvoir syrien soutiendrait les initiatives contre l'EI coordonnées avec Damas mais qu'à défaut, il les considérerait "comme une atteinte à la souveraineté syrienne". Selon des sources proches de la présidence turque, le chef de l'Etat Recep Tayyip Erdogan s'est entretenu par téléphone avec son homologue iranien Hassan Rohani, pour l'informer des dernières opérations militaires turques et lui réaffirmer le point de vue d'Ankara selon lequel il n'y aura pas de paix en Syrie sans départ préalable du président Bachar al Assad, un point de vue partagé par les Occidentaux. L'Iran, qui demeure avec la Russie le plus solide soutien du régime de Damas, a fait savoir de son côté qu'il s'apprêtait à présenter aux Nations unies un plan de paix pour la Syrie. Moscou, qui plaide pour que les adversaires les plus déterminés du régime de Bachar al Assad joignent leurs forces à celle de Damas dans la lutte contre l'EI, a déclaré mercredi que la Russie et les Etats-Unis n'avaient pas été en mesure de définir une approche commune face aux djihadistes. "Pour l'instant, nous n'avons pas une approche commune sur la manière spécifique de le faire au vu de la confrontation entre différents acteurs sur le terrain, y compris des unités armées de l'opposition syrienne", a expliqué le chef de la diplomatie russe Sergueï Lavrov à Kuala Lumpur, à l'issue de son deuxième entretien en quelques jours avec son homologue américain, John Kerry. (avec Tulay Karadeniz à Ankara, Phil Stewart à Washington et Marine Pennetier à Paris; Henri-Pierre André pour le service français, édité par Jean-Stéphane Brosse)