La Syrie divisée en zones d'influence russe, turque, iranienne?

par Andrew Osborn et Orhan Coskun MOSCOU/ANKARA (Reuters) - Le plan pour l'avenir de la Syrie sur lequel réfléchissent la Russie, la Turquie et l'Iran verrait le pays divisé en trois zones d'influence régionale, correspondant à chacun de ces pays. Avec à la tête de l'Etat syrien, toujours Bachar al Assad. Au moins durant quelques années. Ce plan, explique-t-on auprès de sources au fait des discussions, n'en est qu'au stade de l'ébauche et requiert l'aval du président Assad, mais aussi de l'opposition et, au-delà de la Syrie, des pays arabes du Golfe et des Etats-Unis. Après la reprise par les forces gouvernementales syriennes de la ville d'Alep, Russie, Iran et Turquie ont formulé une offre de médiation et jeté les bases d'un accord de cessez-le-feu national, lors de consultations à Moscou le 20 décembre. Ce projet doit être discuté dans le cadre d'une conférence de paix qui pourrait avoir lieu à Astana, au Kazakhstan, pays allié de la Russie, à la mi-janvier. Le scénario que le Kremlin cherche à faire prévaloir verrait Bachar al Assad rester en place mais munis de pouvoirs réduits, jusqu'à la prochaine élection présidentielle à laquelle il ne serait pas candidat, cédant la place à une personnalité alaouite au profil moins clivant. L'Iran doit encore être convaincu d'adopter pareil scénario, dit-on, mais un départ d'Assad semble la théorie envisagée. S'y ajouteraient des garanties pour lui-même et sa famille. UN PLAN POUTINE Personne n'ose croire que le chemin pour aboutir à un pareil accord sera aisé mais, souligne-t-on, Vladimir Poutine tient à jouer un rôle de premier plan dans une résolution de la crise syrienne. Manière pour le président russe d'imposer plus encore sa stature de dirigeant international incontournable. "Ce sera vraiment un gros coup pour eux (les Russes) si cela peut leur permettre de montrer qu'ils sont en pointe pour faire changer les choses dans le monde", explique Tony Brenton, ancien ambassadeur de Grande-Bretagne en Russie. "On s'est habitué à ce que ce soient les Etats-Unis qui assument ce rôle, mais on a oublié que la Russie a elle aussi joué à ce niveau". Washington ne cache pas son irritation face aux prétentions diplomatiques du Kremlin dans la région. Un responsable de l'administration Obama ironise en privé sur les ambitions d'un pays "dont l'économie n'est guère plus grosse que celle de l'Espagne" avant d'affirmer "ne pas croire que les Turcs et les Russes peuvent y arriver sans nous". PAYER LA RECONSTRUCTION De source gouvernementale russe, on précise que le plan envisagé prévoit d'abord la conclusion d'un cessez-le-feu à l'échelle nationale. S'ensuivraient des négociations auxquelles seraient conviés les pays du Golfe, puis les Etats-Unis avant, dans un troisième temps, d'y associer l'Union européenne. L'UE et les émirats du Golfe seraient invités à contribuer financièrement à la reconstruction du pays. Le scénario concocté à Moscou suppose de subtils jeux d'alliances et des arrangements diplomatiques. Ainsi, la Turquie qui officiellement exige le départ de Bachar al Assad avant toute solution négociée serait prête à modérer sa position. "Notre priorité", dit-on de source gouvernementale autorisée à Ankara, "ne porte pas sur le départ d'Assad mais sur la défaite du terrorisme". "Cela ne veut pas dire que nous voulons d'Assad mais nous sommes parvenus à une sorte de compromis. Quand l'Etat islamique sera éradiqué, la Russie pourra soutenir la Turquie en Syrie pour en finir avec le PKK", les séparatistes du Parti des travailleurs du Kurdistan. Pour Tony Brenton, l'ancien ambassadeur à Moscou, Russie et Turquie sont parvenus à s'entendre parce que les Russes avaient besoin des Turcs pour faire sortir les insurgés d'Alep-Est. "Et puis la grande peur qu'ont les Turcs c'est de voir un Kurdistan autonome apparaître en Syrie", ajoute-t-il. Les intérêts stratégiques de l'Iran sont plus difficiles à cerner. Toutefois, nombre d'experts de la complexe géopolitique proche-orientale font remarquer que la chute d'Alep permet à Téhéran de disposer d'un axe direct pour alimenter en armes son précieux allié au Liban, le Hezbollah. Une autre garantie dont Téhéran peut se réjouir est le fait qu'Assad serait remplacé par un autre dirigeant alaouite, les Alaouites étant perçus comme proches de l'islam chiite pratiqué en Iran. Dans les capitales occidentales, notamment à Washington, on doute parfois de la viabilité du plan Poutine. Dennis Ross, ancien diplomate spécialiste de la région qui a servi dans des administrations démocrates et républicaines, n'y croit pas. "Je ne pense pas que cela permettra, après Alep, d'en finir avec la guerre en Syrie", a-t-il dit à Reuters. "La présence d'Assad demeure une source de conflit avec l'opposition". (Avec Maria Tsvetkova à Moscou, Bozorgmehr Sharafedin à Beyrouth, William Maclean à Dubaï, Ece Toksabay et David Dolan à Ankara, Arshad Mohammed, Phil Stewart et Yeganeh Torbati à Washington; Gilles Trequesser pour le service français, édité par Marc Angrand)