Pyongyang doute de la sincérité de la Malaisie dans l'affaire Kim Jong-nam

par Rozanna Latiff KUALA LUMPUR (Reuters) - Le contentieux diplomatique entre la Malaisie et la Corée du Nord s'est envenimé lundi autour de l'enquête sur l'assassinat du demi-frère du dirigeant nord-coréen, Kim Jong-un, survenu il y a une semaine à l'aéroport de Kuala Lumpur. Le ministère malaisien des Affaires étrangères a rappelé lundi son ambassadeur en poste à Pyongyang pour des "consultations" et a convoqué l'ambassadeur de la Corée du Nord. Le régime de Pyongyang dénonce de son côté l'opacité de l'enquête et doute de la police malaisienne. "Sept jours se sont écoulés depuis cet incident mais nous ne connaissons toujours pas les causes du décès et nous ne pouvons pour l'heure pas faire confiance à l'enquête de la police malaisienne", a déclaré à la presse l'ambassadeur nord-coréen en ressortant du ministère malaisien des Affaires étrangères. Les services consulaires de son ambassade, a ajouté Kang Chol, ont identifié la victime sous le nom de Kim Chol en se basant sur son passeport. Il a également estimé que la Malaisie tentait de différer la remise du corps à des "fins politiques". Vendredi déjà, le diplomate nord-coréen s'était ému du choix des autorités malaisiennes de procéder à une autopsie du corps de la victime "sans permission ni présence de notre part". Il avait insinué que la Malaisie avait "quelque chose à cacher" et qu'elle agissait en "collusion avec des forces hostiles". Ce sont ces déclarations qui lui ont valu d'être convoqué au ministère des Affaires étrangères. "Nous n'avons aucune raison de vouloir dépeindre la Corée du Nord sous un mauvais jour", a déclaré lundi le Premier ministre, Najib Razak, promettant une "enquête objective". Son ministre de la Santé, Subramaniam Sathasivam, a indiqué de son côté que les conclusions de l'autopsie pourraient être publiées dès mercredi. L'AGRESSION FILMÉE PAR LES CAMÉRAS DE VIDÉOSURVEILLANCE Quatre suspects ont d'ores et déjà été arrêtés: un Nord-Coréen, un Malaisien, une Indonésienne et une Vietnamienne. La Malaisie recherche en outre quatre autres Nord-Coréens qui ont fui le pays le jour de l'assassinat. Le trajet de leur fuite semblait se préciser lundi. Selon un responsable indonésien, au moins trois d'entre eux ont pris un vol Emirates de Djakarta vers Dubaï le soir de l'attaque. D'après le journal malaisien The Star, le quatuor aurait également transité par Vladivostok, en Russie, avant de rejoindre Pyongyang. Sur les faits eux-mêmes, la police malaisienne pense que Kim Jong-nam a été assassiné par empoisonnement alors qu'il s'apprêtait à regagner Macao au terme d'un déplacement pour affaires en Malaisie. La victime s'est signalée auprès du bureau d'accueil des voyageurs de l'aéroport et a rapporté que deux femmes lui avaient "aspergé le visage avec du liquide". Il est mort peu après sa prise en charge médicale. Reuters s'est procuré un enregistrement de l'agression par des caméras de surveillance de l'aéroport. Sur ces images de mauvaise qualité, que la police malaisienne n'a pas commentées, on voit la victime se diriger vers une borne d'enregistrement automatique dans le hall des départs de l'aéroport. Deux femmes s'approchent de lui par derrière, l'une par la gauche et l'autre - que la chaîne de télévision japonaise Fuji TV, la première à avoir diffusé ces images présente comme étant la suspecte vietnamienne - par la droite. S'en suit une altercation. Des images tournées sous un autre angle montrent la suspecte prétendument vietnamienne jeter quelque chose au-dessus de la tête de Kim et passer brièvement ses bras autour de lui. Les deux femmes quittent rapidement les lieux tandis que la victime titube et s'essuie le visage. On le voit ensuite appeler à l'aide et désigner ses yeux, avant qu'il ne soit conduit à l'hôpital. LES DEUX SUSPECTES PIÉGÉES ? Interrogée dimanche par Reuters, la mère de la suspecte indonésienne s'est dit convaincue que sa fille, Siti Aishah, avait été manipulée. "Elle m'a dit qu'elle voulait se rendre en Malaisie pour filmer la réaction de gens qu'on asperge de parfum par surprise. Quelqu'un lui avait offert cet emploi pour jouer dans une publicité pour une marque de parfum", a ajouté Benah. Lors de son interrogatoire, dont le contenu a été révélé par des médias malaisiens, la suspecte vietnamienne, Doan Thi Huong, a elle aussi affirmé avoir été trompée et dit qu'elle pensait participer à une plaisanterie. Pour la Corée du Sud, il ne fait plus de doute que Kim Jong-nam, qui vivait à Macao sous protection de Pékin et avait publiquement critiqué le régime de Pyongyang, a été victime d'agents nord-coréens. "Ce meurtre commis en public dans un aéroport international d'un pays tiers est un acte criminel inhumain et impardonnable et démontre clairement l'inconscience et la brutalité du régime nord-coréen qui n'exclura aucune option pour assurer sa survie", a déclaré lundi le Premier ministre sud-coréen Hwang Kyo-ahn. (avec Jack Kim à Séoul et Elaine Liles à Tokyo; Julie Carriat et Henri-Pierre André pour le service français)