La méthode Macron à l'épreuve de la quête du PDG d'Air France-KLM

par Richard Lough

PARIS (Reuters) - La difficile quête d'un nouveau PDG d'Air France-KLM, entravée par la résistance des syndicats d'Air France à une réduction draconienne des coûts, apparaît comme un test de la volonté d'Emmanuel Macron de réduire quelque peu le poids de l'Etat dans l'économie.

Le gouvernement a indiqué clairement au groupe franco-néerlandais que sa survie était en jeu s'il ne mettait pas en oeuvre le type de réformes douloureuses déjà engagées par

British Airways et Lufthansa pour résister à la concurrence des compagnies low cost et du Golfe.

Signe d'un infléchissement de la stratégie industrie française, le gouvernement est ouvert à la nomination président d'Air France-KLM qui ne serait pas français pour la première fois, ont dit deux sources au fait du processus. Il serait accompagné d'un directeur général pour Air France, très probablement un Français, et un pour KLM, selon l'une d'elles.

Mais il ne s'agit que de l'une des options sur la table.

Le comité de nomination d'Air France-KLM finalise une liste de candidats pour la tête du groupe, qui pourrait être prête cette semaine ou la semaine prochaine, a déclaré mardi une troisième source au fait des discussions.

Le groupe franco-néerlandais est dirigé par des Français depuis sa création en 2004, une exigence de l'Etat français, son premier actionnaire avec 14% du capital d'Air France-KLM et 23% de ses droits de vote.

L'ex-PDG d'Air France-KLM, Jean-Marc Janaillac, qui a démissionné en mai après l'échec d'un référendum sur les salaires, avait pris également la présidence de la compagnie d'Air France, contrairement à ses prédécesseurs.

DE GRANDS CHAMPIONS EUROPÉENS

Le fait que Paris soit prêt à confier à un étranger la supervision de la stratégie du groupe et celle des négociations avec les syndicats d'Air France traduit la volonté d'Emmanuel Macron de créer des groupes paneuropéens qui peuvent résister à la mondialisation, même si cela implique de renoncer au contrôle d'actifs nationaux.

"Ce qu'on veut, c'est faire de grands champions européens," a dit un responsable du ministère des Finances, qui a souhaité rester anonyme, citant l'exemple du mariage entre Alstom et Siemens et de l'alliance franco-italienne dans les chantiers navals.

"Pour nous, le fait que ce soit forcément un dirigeant français n'est pas primordial. Si on a un européen spécialiste de l’aérien, cela ne nous dérangerait pas", a-t-il ajouté.

Delta Air Lines et China Eastern Airlines, qui détiennent toutes deux près de 9% d'Air France-KLM, se sont refusé à tout commentaire.

Les noms de candidats potentiels se succèdent dans la presse. Philippe Capron, directeur financier de Veolia, s'est retiré après avoir été donné favori.

Le Figaro a écrit lundi que Catherine Guillouard, PDG de la RATP, était pressentie, mais deux sources ont dit à Reuters qu'elle n'était pas candidate.

Selon le site de Challenges mardi, le comité exécutif d'Air France soutient la nomination de Pieter Elbers, l'actuel patron de KLM, entraînant une réaction d'Air France-KLM.

"Les membres de la direction générale n’interfèrent d’aucune manière dans ces décisions et regrettent des rumeurs sans fondements relatives à leurs supposées prises de position dans un processus qui n'est pas de leur responsabilité", écrit le groupe dans une position transmise à Reuters.

Interrogé récemment sur le fait de savoir si Air France-KLM pouvait être dirigé par un Néerlandais, Pieter Elbers avait répondu : "Pourquoi pas ?"

Selon certaines sources, des responsables de KLM s'agacent des conflits sociaux chroniques chez Air France, reprochant à la compagnie française de faire preuve de faiblesse face au puissant Syndicat national des pilotes de ligne (SNPL).

Le ministre de l'Economie et des Finances a prévenu récemment que l'Etat n'épongerait pas les dettes d'Air France-KLM.

Superviser une restructuration d'Air France-KLM consoliderait la réputation de réformiste iconoclaste d'Emmanuel Macron.

"Restructurer (...) est ce qui requis pour faire avancer Air France-KLM, sinon ce ne serait qu'un bégaiement de l'Histoire", estime Daniel Roeska, analyste chez Bernstein.

UNE SORTIE DE L'ETAT ?

Emmanuel Macron pourrait aller plus loin et désengager l'Etat du capital d'Air France-KLM, ce qui enverrait un message clair sur sa détermination à libéraliser l'économie en donnant plus de marge de manoeuvre à la direction du groupe face aux syndicats.

"(Le directeur général d'IAG) Willie Walsh les fixe du regard jusqu'à ce que du sang sorte de leurs yeux et qu'ils jettent l'éponge", résume le consultant Andrew Charlton au sujet du patron de la maison-mère de British Airways.

AccorHotels a dévoilé en juin son intérêt pour le rachat de tout ou partie des actions détenues par l'Etat - une option à laquelle le gouvernement n'a pas fermé la porte mais qui ne va pas forcément de soi.

"Le gouvernement étudie des choses, on n'est fermé sur rien", a dit le responsable de Bercy, réaffirmant la position officielle selon laquelle il faut d'abord trouver un patron d'Air France-KLM.

Mais le tour de table d'AccorHotels pourrait compliquer les choses. Ses trois premiers actionnaires sont chinois, qatari et saoudien, au moment même où Air France-KLM dénonce le manque de fair play des compagnies du Golfe dans la concurrence.

"Le capital d’Accor aujourd’hui n’est pas suffisamment européen pour que ça puisse fonctionner", a dit l'une des deux sources proches des discussions.

La législation européenne nécessite aussi que plus de la moitié du capital d'une compagnie européenne soit détenue par des Etats membres ou des ressortissants de l'Union européenne.

(Avec Cyril Altmeyer, édité par Jean-Michel Bélot)