La réforme de la justice en partie invalidée en Turquie

La Cour constitutionnelle de Turquie (photo) a partiellement invalidé vendredi une loi renforçant la tutelle de l'exécutif sur l'appareil judiciaire, perçue par les opposants à Recep Tayyip Erdogan comme une tentative d'étouffer le scandale de corruption ébranlant le pouvoir depuis décembre. /Photo d'archives/REUTERS/Umit Bektas

par Gulsen Solaker et Orhan Coskun ANKARA (Reuters) - Le Premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, a vu vendredi ses efforts de reprise en main de la justice contrariés par un arrêt de la Cour constitutionnelle qui a partiellement invalidé une loi renforçant le contrôle de l'exécutif sur l'appareil judiciaire. Le chef du gouvernement turc a également subi un deuxième revers au cours de la journée avec l'annonce de Moody's qu'elle abaissait la perspective de la note souveraine de la Turquie à négative. Les adversaires d'Erdogan dénoncent la tentative du Premier ministre de vouloir placer la justice turque sous tutelle afin d'étouffer le scandale de corruption qui ébranle son gouvernement depuis le mois de décembre. A chaque nouvelle révélation, Erdogan a invariablement réagi en limogeant ou en mutant des milliers de policiers et de magistrats, affirmant que ces deux appareils de l'Etat étaient noyautés par des fidèles de son rival en exil aux Etats-Unis, le prédicateur musulman Fethullah Gülen. Il a également tenté de museler les réseaux sociaux comme Twitter et YouTube, estimant être conforté dans sa démarche par la nette victoire de sa formation politique, le Parti de la Justice et du Développement (AKP), lors des élections municipales le 30 mars. La Cour constitutionnelle, saisie en février par le Parti républicain du peuple (CHP, opposition de gauche laïque), a annoncé vendredi qu'elle annulait les articles de la loi voulue par Erdogan portant sur les prérogatives accordées au ministère de la Justice sur le Haut conseil des juges et des procureurs, l'organe de nomination des magistrats. La Cour a expliqué que ces dispositions portaient une atteinte au principe de la séparation des pouvoirs et à l'indépendance des tribunaux. Le ministre de la Justice, Bekir Bozdag, a annoncé que le gouvernement allait se soumettre à la décision de la plus haute juridiction du pays tout en affirmant que le texte qui avait été présenté ne contrevenait pas à la loi fondamentale. "La réglementation que nous avons mise au point se conforme à la Constitution. La décision d'annulation de la Cour constitutionnelle ne nous a pas fait changer d'avis. Mais, naturellement, nous respecterons la décision de la Cour", a dit le ministre à la presse à Ankara. VULNÉRABILITÉ Depuis qu'a éclaté en décembre un scandale de corruption éclaboussant des hommes d'affaires proches du pouvoir et des fils de ministres, Recep Tayyip Erdogan dénonce un complot visant à mettre en place d'un "Etat parallèle". Après le large succès électoral de l'AKP le mois dernier, Erdogan pourrait désormais se présenter au scrutin présidentiel prévu en août, le premier organisé au suffrage universel direct et qui renforcera donc le statut du prochain chef de l'Etat. Les mesures prises par Erdogan en matière judiciaire ont suscité l'inquiétude des Occidentaux sur les orientations démocratiques des autorités turques. Pour Fadi Hakura, du cercle de réflexion Chatham House basé à Londres, la Cour constitutionnelle est la dernière institution qui apparaît aujourd'hui réellement indépendante en Turquie. Selon lui, l'invalidation prononcée vendredi arrive toutefois trop tard pour empêcher le pouvoir d'imposer les modifications qu'il souhaite au sein de l'administration judiciaire. "Si vous regardez le texte de loi, le gouvernement savait que la cour allait l'invalider parce qu'il est contraire à la Constitution", a-t-il noté. "Mais dans ce laps de temps, cela lui a permis de limoger de nombreuses personnes dans le tribunaux pour les remplacer par des hommes à lui". Ce contentieux politique devrait s'accentuer avec l'approche de la présidentielle et continuer à faire planer des doutes sur la solidité économique de la Turquie. "Cela vient rappeler, si cela était nécessaire, que la Turquie demeure l'un des marchés émergents les plus vulnérables", estime Nicholas Spiro, de Spiro Sovereign Strategy. (Bertrand Boucey et Pierre Sérisier pour le service français)