La CIA aurait acheté la coopération de la Pologne

La Pologne s'est opposée il y a onze ans au transfert de membres présumés d'Al Qaïda dans un centre de détention secret de la CIA sur son territoire, mais s'est montrée plus "souple" après le paiement d'une forte somme, selon le rapport rendu public mardi par la commission du Renseignement du Sénat américain. /Photo d'archives/REUTERS/Larry Downing

par Christian Lowe et Wiktor Szary VARSOVIE (Reuters) - La Pologne s'est opposée il y a onze ans au transfert de membres présumés d'Al Qaïda dans un centre de détention secret gérée par la CIA sur son territoire mais s'est montrée plus "souple" après le versement de plusieurs millions de dollars, selon le rapport de la commission du Renseignement du Sénat américain. Diffusé mardi, ce rapport sur les pratiques de la CIA après les attentats du 11 septembre 2001 met en cause la brutalité et l'inefficacité des méthodes d'"interrogatoire poussé". Il confirme aussi entre les lignes que l'agence américaine s'est servie d'installations sur le sol polonais pour y détenir et interroger des "ennemis combattants" capturés dans le cadre de la "guerre contre le terrorisme" lancée par George W. Bush. Barack Obama a appelé la Première ministre polonaise, Ewa Kopacs, lundi, avant sa publication, pour en évoquer le contenu, a-t-on appris auprès du gouvernement polonais. De son côté, l'ex-président Aleksander Kwasniewski, au pouvoir entre 1995 et 2005, a reconnu pour la première fois mercredi l'existence d'une prison secrète de la CIA implantée sur le sol polonais. Mais, a-t-il ajouté, ses interlocuteurs américains lui avaient assuré que les détenus qui y seraient regroupés avaient accepté de coopérer. Lui-même, a-t-il poursuivi, ignorait tout de ce qui se passait à l'intérieur de ce site, opérationnel en 2002 et 2003. Aleksander Kwasniewski n'a pas confirmé le versement d'une somme d'argent et a ajouté que si la CIA avait versé de l'argent, cela n'avait rien à voir avec le site de Stare Kiejkuty, dans le nord-est du pays. D'après le rapport sur la CIA, et selon un arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH), les détenus regroupés dans cette prison secrète ont été soumis à des privations de sommeil, à des simulacres de noyade et d'exécution. CONFIANCE ATTEINTE Le nom de la Pologne est passé sous silence dans la version publique, très expurgée, du rapport des sénateurs. Mais les noms des trois détenus cités et les dates de leur transfert ne laissent pas de doute : ces données coïncident avec un arrêt de la CEDH sur le sujet. Le rapport du Sénat note que "l'accord sur la création d'un centre de détention de la CIA en XXX (le nom du pays a été noirci-NDLR) a créé de multiples difficultés qui persistent entre ce pays et la CIA". Il fait également mention de l'intervention au nom de la CIA de l'ambassadeur des Etats-Unis auprès des dirigeants politiques de ce pays. "Le mois suivant, la CIA a versé XXX millions de dollars", peut-on lire dans le rapport, où le montant précis est également noirci. Après le versement de la somme, "le pays XXX était bien plus souple concernant le nombre de détenus de la CIA dans le site et la date de sa fermeture", poursuivent les sénateurs. Aleksander Kwasniewski, qui s'exprimait face à la presse aux côtés de son Premier ministre de l'époque, Leszek Miller, a expliqué que si Varsovie avait accepté de coopérer ainsi avec Washington, c'était pour s'assurer le soutien américain en cas de menace contre la Pologne. Il a estimé en revanche que la publication du rapport sénatorial mettait à mal la confiance entre la Pologne et les Etats-Unis. "Ce rapport montre que nous devons travailler avec notre plus important et principal allié sur une base de confiance limitée, mais de confiance tout de même", a-t-il dit. Pour Adam Bodmar, vice-président de la Fondation Helsinki pour les droits de l'homme de Varsovie, les dirigeants polonais d'alors "ont trahi la Constitution pour de l'argent". Les tensions évoquées dans le rapport, a-t-il ajouté, expliquent pourquoi Barack Obama a appelé Ewa Kopacz lundi. Le président des Etats-Unis et son interlocutrice "ont exprimé l'espoir que la publication de ce rapport n'ait pas d'effet négatif sur les relations américano-polonaises", dit Varsovie dans un communiqué. (avec Pawel Sobczak, Jean-Philippe Lefief et Henri-Pierre André pour le service français)