La CEDH condamne Bucarest et Vilnius pour complicité avec la CIA
STRASBOURG (Reuters) - La Roumanie et la Lituanie ont été reconnues jeudi coupables, par la Cour européenne des droits de l’homme, d’avoir accueilli sur leur sol des centres de détentions secrets de la CIA où des détenus ont été torturés dans le cadre de la lutte des Etats-Unis contre le terrorisme.
Dans deux arrêts distincts relatifs aux plaintes d’un Saoudien et d’un apatride d’origine palestinienne, aujourd’hui détenus sur la base militaire de Guantanamo, la juridiction du Conseil de l’Europe condamne les deux pays pour traitements inhumains et dégradants, violation du droit au respect de la vie privée et familiale et violation du droit à un recours effectif.
S’agissant du Saoudien Abd al-Rahim al-Nashiri, passé par un centre de détention en Roumanie et passible de la peine de mort aux Etats-Unis, Bucarest est également condamné pour violation du "droit à la vie".
"La Roumanie avait connaissance du but des activités que la CIA menait sur son territoire et elle a coopéré. Il devait aussi être clair que ces activités menaçaient les droits de M. Al Nashiri", affirment les juges de Strasbourg qui reprennent la même formulation pour la Lituanie où a été détenu le Palestinien Zayn al-Abidin Husayn, dit Abou Zubaydah.
Vilnius et Bucarest doivent verser respectivement 100.000 euros pour dommage moral aux deux requérants, intervenir auprès des Etats-Unis pour obtenir des garanties relatives au respect de leurs droits fondamentaux et enquêter à l’échelle nationale pour déterminer les responsabilités s’agissant des violations constatées.
Les deux détenus avaient déjà fait condamner, en 2014 à Strasbourg et dans des termes similaires, la Pologne, où les services secrets américains les avaient d’abord incarcérés.
Abd al-Rahim al-Nashiri, capturé en octobre 2002 à Dubaï, serait le principal responsable de l'attentat contre le navire USS Cole en octobre 2000 au Yémen, qui a tué 17 marins américains. Il aurait aussi joué un rôle dans l'attaque du pétrolier français, le Limbourg, en octobre 2002 dans le golfe d'Aden.
Abou Zubaydah, qualifié de "détenu de haute importance", était considéré, au moment de son arrestation en mars 2002 au Pakistan, comme l'un des principaux chefs du réseau Al Qaïda.
Le premier aurait été détenu en Roumanie d’avril 2004 à octobre ou novembre 2005, le second en Lituanie de février 2005 à mars 2006.
N’étant pas en mesure d’avoir le moindre contact avec ces détenus, la Cour européenne des droits de l’homme s’est appuyée, pour qualifier les faits, sur les informations fournies par des organismes tels que le Comité international de la Croix rouge, les enquêtes menées la presse, le Conseil de l’Europe et le Parlement européen mais aussi le rapport du Sénat américain relatif à la pratique de la torture.
Les détenus ont dénoncé des traitements tels que des projections contre un mur, la suspension tête en bas, les simulations de noyade, le maintien en position debout dans une boîte ou dans des positions de stress, l’exposition au froid ou à un bruit intense.
Le Sénat américain a révélé que les pays ayant accueilli des prisons secrètes avaient bénéficié de plusieurs millions de dollars pour prix de leur "soutien".
Des enquêtes ont été ouvertes sur ces faits en Roumanie et en Lituanie. Aucune n’a abouti à ce jour.
L’arrêt, rendu à l’unanimité des juges, est susceptible d’appel.
(Gilbert Reilhac, édité par Yves Clarisse)