L’IVG dans la Constitution : Comment Insoumis et majorité se sont entendus pour écrire l’Histoire

Le pas de deux inédit des Insoumis et de la majorité pour inscrire l’IVG dans la Constitution
GEOFFROY VAN DER HASSELT / AFP Le pas de deux inédit des Insoumis et de la majorité pour inscrire l’IVG dans la Constitution

POLITIQUE - S’ils se tombent dans les bras, c’est (presque) pareil. Erwan Balanant et Mathilde Panot sont tout à leur joie ce jeudi 24 novembre en sortant de l’hémicycle de l’Assemblée nationale. L’heure de la pause déjeuner ? Pas seulement. Le premier, député MoDem, vient de voir son amendement pour sanctuariser l’accès à l’IVG dans la Constitution être adopté à une large majorité. De ce fait, la deuxième, cheffe de file des Insoumis au Palais Bourbon et rapporteure de la loi, gagne une première bataille législative en attendant le passage du texte au Sénat.

« C’est un beau message. Cela montre que l’on est capable de travailler ensemble pour le bien des Français », se réjouit le centriste, costume bleu foncé, devant les journalistes, salle des quatre colonnes. À quelques centimètres à peine, sa collègue insoumise, tenue noire et veste turquoise, savoure « une victoire historique », un « beau moment ».

Les deux n’arborent pas la même couleur politique, mais ils peuvent se satisfaire d’un même résultat : l’Assemblée nationale a validé ce texte historique (337 pour contre 32), promis par les uns et les autres après la décision du Congrès américain de remettre en cause le droit fondamental à l’avortement. Le fruit d’une réécriture et d’une entente (presque) inavouée entre le MoDem, une composante de la majorité, et les troupes mélenchonistes, pour contourner l’opposition de la droite.

Les marottes des droites

Il faut dire que la matinée avait bien mal commencé pour les défenseurs de cette mesure. Soucieux de pouvoir discuter de l’IVG, les Insoumis modifient leur ordre du jour à la dernière minute, afin d’imposer le sujet dès les premières secondes de leur niche parlementaire. Pas de quoi faire dévier Les Républicains et le Rassemblement national de leur stratégie.

Une fois dans l’hémicycle, les députés de droite et de l’extrême droite multiplient les rappels aux règlements ou les prises de parole sans rapport avec le texte défendu. C’est ainsi que l’élu LR des Côtes-d’Armor Marc Le Fur défend le retour au septennat ou… la charte européenne des langues régionales. Dans le même esprit, le Rassemblement national prend la parole pour demander la nationalité française obligatoire pour les ministres, tout en détaillant plusieurs nuances de sa préférence nationale.

« Quel rapport ? », s’interrogent plusieurs élus de la Nupes en chœur.

« Ils font de la petite politique. Ce n’est pas du tout à la hauteur du moment historique que nous vivons »
Sandrine Rousseau, députée EELV

En réalité, ces discours sont rendus possibles ce jeudi par une subtilité de procédure : les amendements aux textes constitutionnels peuvent couvrir de larges sujets, au-delà de la question initialement posée. Qu’à cela ne tienne… à la tribune, les différents orateurs se relaient pour dénoncer la teneur « inacceptable » des débats.

« Est-ce que vous vous rendez compte du spectacle que l’on donne ? », rouspète, parmi eux, le député MoDem Bruno Millienne, en réclamant « un peu de dignité » sur un tel sujet. Les bancs, à gauche, s’ébrouent lorsque l’orateur s’égare quelque peu. Le Garde des Sceaux Éric Dupond-Moretti distribue les banderilles, sur le même ton. Et les « hors sujet » ne cessent de descendre des tribunes. Il n’est que 10h30, la tension, grandissante, ne retombera plus.

« Je ne sais pas pourquoi ils font ça », nous dit le porte-parole du groupe Renaissance au Palais Bourbon, Charles Sitzenstuhl, lors d’une suspension de séance, un brin désabusé par l’attitude des élus de droite et d’extrême droite. « Ça donne une bien mauvaise image de l’Assemblée ». Sandrine Rousseau, elle, ne mâche pas ses mots : « Ils font de la petite politique. Ce n’est pas du tout à la hauteur du moment historique que nous vivons », fustige l’élu écolo, manifestement affecté par la tournure des débats, avant de retourner en séance.

Amis, mais pas trop

Dans ces conditions, seul un travail « transpartisan » pouvait sortir les discussions de l’ornière. C’est ce qui s’est passé. Peu avant midi, les Insoumis et la majorité s’accordent sur une nouvelle formulation commune, quitte à réécrire la proposition portée par Mathilde Panot et en expurger toute mention à la contraception. Une façon de convaincre les plus sceptiques… et de faire tomber la plupart des amendements de la droite et de l’extrême droite, lesquels se référaient au texte initial. Une autre subtilité de procédure. Conséquence, inattendue : l’obstruction se réduit à peau de chagrin. Et les nuages se dissipent.

« Ce sont les spécialistes du blocage, ils ont vécu ce qu’ils font subir à l’Assemblée depuis des années »
Charles Sitzenstuhl, député et porte-parole du groupe Renaissance

De quoi offrir à l’Assemblée des images, rares, de bonnes camaraderies. « Je pense que par ce vote, par ce travail, nous honorons ce qu’est le Parlement (...) Malgré nos contradictions, nous sommes en capacité de répondre aux attentes », se félicite ainsi Erwan Balanant dans l’hémicycle avant le vote solennel, en citant nommément Mathilde Panot avant que cette dernière salue à son tour un « consensus » et « la conscience du temps long. »

Comme un symbole pour parachever cette entente inédite, Aurore Bergé, la cheffe de file des députés Renaissance annonce, au sein du Palais Bourbon, retirer son propre texte sur l’avortement, au profit de celui des Insoumis. Il devait être discuté la semaine prochaine, par cette même Assemblée. « Si sur la question du droit des femmes, nous ne sommes pas capables de travailler différemment, alors nous ne le ferons sur aucun texte », explique-t-elle au micro en citant l’exemple personnel et douloureux de sa mère, contrainte, en son temps, de recourir à un avortement illégal. Applaudissements nourris, sur les bancs de la gauche et de la majorité... Et une nouvelle alliance à venir ?

Que Marc Le Fur se rassure, la « nouvelle entente sociétale » au Palais Bourbon, qu’il estime voir émerger à l’aune de ce vote, n’est pas pour tout de suite. Car derrière cette victoire historique partagée, les acrimonies ne sont jamais bien loin. Sandrine Rousseau par exemple ne manque pas de nous faire remarquer « une concession » de la part de la France insoumise sur la contraception. Charles Sitzenstuhl, de son côté, boude difficilement son plaisir d’avoir vu les mélenchonistes s’inquiéter de l’obstruction sur leurs textes. « Ce sont les spécialistes du blocage, ils ont vécu ce qu’ils font subir à l’Assemblée depuis des années », nous glisse-t-il, avant de s’engouffrer dans l’hémicycle, « ça leur a fait les pieds. »

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