L’expulsion de l’imam Mahjoub Mahjoubi a-t-elle été facilitée par la récente loi immigration ?

Gérald Darmanin, ici assistant à la cérémonie d’inauguration de la nouvelle préfecture d’Ille-et-Vilaine, à Rennes, le 12 février 2024.
SEBASTIEN SALOM-GOMIS / AFP Gérald Darmanin, ici assistant à la cérémonie d’inauguration de la nouvelle préfecture d’Ille-et-Vilaine, à Rennes, le 12 février 2024.

LOI IMMIGARATION - Après l’expulsion jeudi de l’imam tunisien Mahjoub Mahjoubi de la mosquée de Bagnols-sur-Cèze (Gard), accusé par les autorités françaises d’avoir tenu des propos haineux, Gérald Darmanin a rapidement commenté ce cas sur son compte X, vantant la vitesse de la procédure d’expulsion « moins de 12h après (l’)interpellation ».

« C’est la démonstration que la loi Immigration, sans laquelle une telle expulsion aussi rapide n’aurait pas été possible, rend la France plus forte », a notamment écrit le ministre de l’Intérieur. Or, très rapidement, une « note de la communauté » est rapidement apparue sous le tweet du ministre, comme c’est le cas quand des messages sur le réseau social sont jugés trop évasifs ou même trompeurs par un nombre important d’internautes.

« L’expulsion rapide des étrangers existe depuis avant la loi immigration ou loi Darmanin. Notamment selon l’article L632-1 du Ceseda (Code de l’entrée et du séjour des étrangers), qui peut-être surpassé si on parle d’urgence absolue, notion qui est déjà existante », précise ainsi cette note qui renvoie vers l’article de loi en question sur le site législatif du gouvernement.

Pour tenter de comprendre cette communication de Gérald Darmanin dans ce dossier hautement sensible, rappelons un point important relatif à toute décision d’expulsion en France. On fait le distinguo entre l’arrêté préfectoral d’expulsion (APE), décision prise par le préfet du lieu de résidence de l’étranger ; et l’arrêté ministériel d’expulsion (AME), pour lequel seul le ministère de l’Intérieur est compétent, dans le cas d’une urgence absolue comme c’est le cas pour - comme ici pour l’imam Mahjoubi - ou pour un étranger protégé.

Ce que permet la notion d’urgence absolue

« La communication du ministre de l’Intérieur est surprenante sur le plan juridique car les AME (résultant d’une urgence absolue, NDLR) étaient tout à fait possibles avant la loi du 24 janvier dernier », affirment auprès du Parisien Paul Chiron et Marc Duranton, responsables nationaux sur les questions rétention et prison à la Cimade, une association de solidarité active et de soutien politique aux migrants.

Stéphane Maugendre, avocat spécialiste du droit des étrangers interrogé par Le HuffPost, y voit lui un message « mensonger » du ministre de l’Intérieur. Il confirme que le concept d’« urgence absolue » existait bien avant la nouvelle loi immigration, et que cela reste une « notion large, un peu floue ». « L’urgence absolue, on peut la créer », pointe-t-il. « Je ne connais pas le fond du dossier, mais il n’y avait a priori par urgence absolue » à expulser cet imam du Gard pour ses prêches, estime l’avocat.

Selon lui, l’utilisation de cette notion a permis au ministre de l’Intérieur « d’éviter la commission d’expulsion, donc un débat contradictoire préalable qui peut potentiellement être public ». L’avocat note aussi que cela permet de se passer du contrôle du juge des référés.

« À partir du moment où il y avait la possibilité de faire le buzz sur le cas d’un imam, Darmanin s’est précipité dessus, y compris pour faire l’autopromotion de sa nouvelle loi », interprète Stéphane Maugendre, qui rappelle que l’imam Hassan Iquioussen, visé par un AME en juillet 2022, avait été expulsé en janvier 2023 vers le Maroc « de la même manière, selon la même procédure » d’urgence absolue.

La question du laissez-passer consulaire

Dans une tribune publiée en septembre 2022 au moment de l’affaire Iquioussen, l’avocat au barreau de Paris Patrick Berdugo pointait déjà, là aussi, le caractère non justifié de l’urgence absolue, pourtant retenue. « S’agissant d’accusations de prêches ou de prises de position remontant à parfois plus d’une décennie, cette procédure ne pouvait être utilisée contre un imam, eut-il proféré des propos peu élogieux à l’endroit de diverses communautés, celui-ci relevant donc de la procédure d’expulsion dite “classique” », écrivait-il, sur le site Actu-juridique.fr.

Entre les deux affaires une chose a changé cependant : la fin de l’obligation de délivrance d’un laissez-passer consulaire par le pays de destination. L’avocat de Mahjoub Mahjoubi, Samir Hamroun, avait d’ailleurs reconnu lui-même jeudi sur BFMTV que l’expulsion de son client pouvait intervenir dès lors à tout moment.

Le dossier est désormais loin d’être terminé puisque Mahjoub Mahjoubi, dénonçant une décision « injuste » et « arbitraire », a depuis annoncé qu’il allait saisir la justice pour la faire annuler et retourner auprès de sa famille.

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