L’aventure Ariane 5 avait bien mal commencé avec cette explosion à 600 millions d’euros

ESPACE - Le lanceur Ariane 5 a tiré sa révérence ce mercredi 5 juillet en décollant avec succès, à la grande joie des collaborateurs de la mission. C’était la dernière fois que la fusée s’envolait dans l’espace après 27 ans de bons et loyaux services. Si aujourd’hui le lanceur jouit d’une fiabilité à toute épreuve, ça n’a pas toujours été le cas, comme vous pouvez le voir dans la vidéo en haut de l’article. Retour sur une success story au départ bien mal engagée.

Un lanceur totalement nouveau

La décision de développer Ariane 5 intervient en 1987, lorsque les États membres de l’agence spatiale européenne (ESA) s’accordent pour développer un successeur à Ariane 4 qui n’est même encore totalement construite. Les projections de l’ESA montraient que les satellites deviendraient de plus en plus lourds au fur et à mesure des années. « L’ADN d’Ariane c’est de pouvoir lancer en même temps deux satellites, ce qui permet d’être compétitif. Et les satellites grossissants, Ariane 4 ne pouvait plus lancer qu’un seul satellite et devenait moins compétitive sur le marché », explique Olivier Bugnet, chef de projet sur Ariane 6.

Les lanceurs Ariane 1, 2, 3 et 4 sont des évolutions d’une même fusée, mais ce modèle n’étant désormais plus adapté, il a fallu repartir de zéro pour concevoir Ariane 5. « Ce lanceur a des boosters beaucoup plus gros, des carburants différents et très peu utilisés dans le monde. Et du fait du grossissement des satellites, le diamètre de la coiffe, là où on met les satellites, est aussi bien plus important », explique l’ingénieur. En effet, ce nouveau lanceur doit alors être capable de transporter plus 5 tonnes de charge utile.

Tout s’est joué en 37 secondes

Il aura fallu une dizaine d’années avant qu’Ariane 5 ne voie le jour et effectue son premier vol. Nous sommes le 4 juin 1996 à Kourou en Guyane. La météo est clémente, les voyants techniques sont au vert, toutes les conditions sont donc réunies pour un vol optimal. À 9 h 34, heure locale, les moteurs sont mis à feu et la fusée s’élance vers le ciel. Mais au bout de 37 secondes, le lanceur bascule et deux secondes plus tard, la fusée explose à 4 000 mètres d’altitude. Au poste de commande le silence règne et tous se posent la même question : que s’est-il passé ?

Les données collectées durant le vol vont permettre d’y répondre. Tout part d’un bug informatique de la centrale inertielle, un équipement à bord de la fusée qui indique les mouvements du lanceur. Celui utilisé sur Ariane 5 est le même que pour Ariane 4. Si cet instrument a déjà fait ses preuves par le passé, les techniciens n’avaient pas pris en compte le fait qu’il allait être utilisé dans un nouvel environnement avec des nouveaux paramètres. Ariane 5 étant beaucoup plus puissante qu’Ariane 4, il s’est donc vite retrouvé totalement dépassé.

« Cette centrale inertielle indique au programme de vol la position du lanceur. Il ne savait plus où il était, donc il a donné l’ordre de braquer. Sauf que le braquage à basse altitude dans l’atmosphère avec une vitesse assez importante a fait que la fusée s’est rompue sous les effets des efforts aérodynamiques et donc a fini par exploser », détaille Olivier Bugnet.

Avec les quatre satellites à bord d’Ariane 5 que la fusée devait emmener pour le compte de l’ESA, ce sont 600 millions d’euros qui viennent de partir en fumée.

Une fiabilité à toute épreuve

Une fois cet élément corrigé et après une nouvelle batterie de tests, place au deuxième vol. Celui-ci se déroule mieux que le précédent mais n’est pas encore un succès total. Si la fusée arrive au bout du voyage, la trajectoire effectuée n’est pas tout à fait celle désirée. C’est finalement au bout du 3e essai qu’Ariane 5 réussit à effectuer un vol parfait, le 21 octobre 1998. Commence ainsi, l’aventure Ariane 5 et la prospérité qui l’accompagne. Au total, le lanceur effectue 116 vols et ne connaîtra qu’un seul véritable échec supplémentaire en 27 ans de carrière, lui conférant une fiabilité de 98,4 %.

Parmi ses missions les plus importantes figure la sonde européenne Rosetta, partie le 2 mars 2004 en direction de la comète Tchouri. Un voyage long de 10 ans mais qui a été couronné de succès. Il y a aussi eu les missions ATV, ce sont des véhicules de transfert automatisés envoyés vers la station spatiale internationale entre 2008 et 2015, pour apporter des vivres, de l’eau potable, du carburant ou encore du matériel scientifique. Mais la particularité de ce type de véhicule c’est sa masse.

« C’est un véhicule de 20 tonnes donc il a fallu adapter la fusée pour qu’elle soit capable de l’envoyer. En plus il y avait des conditions particulières de propreté à respecter puisqu’elle allait dans un environnement humain », explique Olivier Bugnet. Plus récemment, il y a eu le télescope James Webb, lancé le 25 décembre 2021. « C’est l’un des plus beaux et des plus chers équipements spatiaux de tous les temps et les Américains ont fait confiance aux Européens pour le lancer avec Ariane 5, réputée pour sa fiabilité », s’enthousiasme l’ingénieur.

Dernière mission en date : JUICE. C’est le nom de la sonde envoyée le 14 avril dernier, qui a pour objectif d’aller observer le système de Jupiter. Si le lancement a été réussi, il faudra cependant attendre encore huit ans avant que la sonde n’atteigne Jupiter et ses lunes glacées. Autant de succès qui confirment la réputation sans faille d’Ariane 5. Mais en plus de 25 ans d’exercice, le lanceur commence à devenir obsolète. D’autant que le secteur de l’aérospatial a évolué, avec notamment l’arrivée d’un concurrent que personne n’avait vu venir : SpaceX.

La concurrence de SpaceX

Lorsqu’Elon Musk fonde SpaceX en 2002, il a deux objectifs : concevoir des lanceurs capables de diminuer le coût de mise en orbite et développer le tourisme spatial. Plus encore, il cherche à réutiliser ses lanceurs pour réduire les coûts de production. Après de nombreux essais qui se sont terminés en explosions souvent spectaculaires, SpaceX réussit l’exploit en décembre 2015 : son booster réatterrit pile sur sa cible. Une révolution dans le secteur de l’aérospatial est en marche.

Face à ce nouveau concurrent, Ariane 5 souffre. Non pour l’exploit technologique en tant que tel, mais parce que le prix d’un lancement SpaceX coûte environ 60 millions d’euros, quand il faut compter environ 100 millions d’euros pour Ariane 5. « Elle avait été conçue sur la base de technologies. Donc on ne cherchait pas à faire un lanceur pas cher, on cherchait à faire un lanceur puissant avec des technologies bien maîtrisées. Ce qui donne lieu à un lanceur plutôt cher », précise Olivier Bugnet.

Si ArianeGroup a déjà prévu l’arrivée d’Ariane 6 pour prendre le relais, celle-ci a déjà 3 ans de retard. Prévu pour 2020, son développement a été mis à l’arrêt par la pandémie de Covid-19. Elle a également dû se confronter à plusieurs problèmes techniques, qui n’ont fait que retarder davantage l’arrivée de ce nouveau lanceur. Mais contrairement à ses concurrents développés par SpaceX, celui-ci ne sera cependant toujours pas réutilisable. Pour cela, il faudra attendre l’arrivée d’Ariane Next, successeur d’Ariane 6, prévu pour les années 2030. Reste à savoir si Arianespace saura rattraper son retard par rapport à SpaceX.

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