L’auteur d’« Un homme dangereux » nous parle de sa plongée dans les UMD, services psychiatriques ultra-sécurisés

« Un homme dangereux » sort en librairie aux éditions Goutte d’or, ce vendredi 19 janvier.
Clément Buée « Un homme dangereux » sort en librairie aux éditions Goutte d’or, ce vendredi 19 janvier.

LITTÉRATURE - Exit la fausse rescapée des attentats, faites entrer le mystérieux patient. Après La mythomane du Bataclan, qui va bientôt faire l’objet de la première série HBO française avec Laure Calamy, le journaliste Alexandre Kauffmann revient en librairie avec la parution aux éditions Goutte d’or, ce vendredi 19 janvier, d’une nouvelle enquête captivante : Un homme dangereux.

Cet homme, c’est Bosco Gonda. Auteur de multiples homicides (dont celui de sa sœur), celui-ci a été jugé pénalement irresponsable à chaque fois en raison de graves troubles mentaux. Ses crimes ne l’ont pas entraîné en prison, mais dans des services de psychiatrie ultra-sécurisés dédiés aux patients violents : les unités pour malades difficiles (UMD).

Ils ont aussi fait de lui « le patient le plus dangereux » de France, pour reprendre les mots d’un autre monument du milieu carcéral, un certain Claude B. Et alors que Bosco Gonda est irréprochable depuis dix ans, il pourrait être sur le point d’être libéré.

Alexandre Kauffmann a tenté de remonter sa trace, mais s’est vite retrouvé face à un mur. Personne pour lui dire où le trouver. En cause : le secret médical. Les dossiers des patients étant rendus publics 120 ans après la naissance des patients, il fallait attendre... 2096. Puis un beau jour, il comprend que Bosco Gonda est un ami de Romain Dupuy, célèbre schizophrène interné depuis 2005 pour le meurtre très médiatisé de deux femmes à Pau.

Vous avez rencontré Romain Dupuy à l’UMD de Cadillac. À quoi ce lieu, comme les autres établissements de ce genre, ressemblent-ils de l’intérieur ?

Derrière les vitres des soignants, on observe un monde en apesanteur. On sent qu’il y a un autre rythme. Moi, j’arrivais avec une certaine curiosité et un peu de stupeur.

Les équipes m’ont fait très vite confiance : on m’a donné un badge me permettant d’ouvrir à peu près toutes les portes, puis on m’a équipé d’un DATI, un petit boîtier électronique qui permet d’alerter la sécurité pour être secouru rapidement.

Et puis très vite, les patients sont venus à mon contact, notamment parce que j’étais habillé en civil, c’est-à-dire sans blouse. Ce qui supposait que je n’étais pas un soignant. Certains pensaient que j’étais un flic. D’autres, un nouveau patient. Quelqu’un m’a demandé si j’étais du Daily Planet, le journal pour lequel travaille Clark Kent, Superman.

Qu’est-ce qui vous a marqué ?

Certains cas, comme celui d’un homme dont la tête a été recouverte d’un casque bleu en mousse parce qu’il distribue des coups de tête à tout le monde, peuvent sembler spectaculaires. Mais il y a aussi beaucoup de personnes très calmes ou lucides, comme quand après avoir demandé à l’un d’entre eux pourquoi ils s’étaient tous mis à faire des cris d’animaux, il m’a répondu : « On est dans un hôpital psychiatrique, tu t’attendais à quoi ? »

La vulnérabilité de certains est frappante, comme quand j’ai vu un homme tout tremblant, en train de fumer sa clope en charentaise dans le froid. Ça va contre l’idée du monstre sanguinaire que présupposaient ses actes de cannibalisme. Ces gens sont là pour être soignés.

Ce n’est pas dans un UMD que vous avez rencontré Bosco Gonda, ni au cours d’un de ses cours de boxe que vous avez infiltré ou lors d’un enregistrement de ses podcasts. Dans quelles conditions l’avez-vous vu de vos propres yeux ?

Mon enquête a eu des allures de polar psychiatrique. J’avançais dans le brouillard des psychoses et me faisais balader par des personnes schizophrènes. Et alors que je n’étais plus sûr de le rencontrer, j’ai appris qu’il devait se rendre à une audience devant un juge des libertés et de la détention. Elles sont organisées tous les six mois et visent à réévaluer le dossier d’un patient faisant l’objet de soins psychiatriques. La personne que j’ai rencontrée n’avait rien à voir avec la personne que j’imaginais.

Vous a-t-il paru aussi dangereux que Claude B. et d’autres soignants vous l’avaient décrit ?

La notion de dangerosité est à déconstruire. Ce n’est pas une notion précise. C’est subjectif et ça tient beaucoup au ressenti. Comme pour la météo, plus on évalue dans le temps la dangerosité psychiatrique d’un patient (pour lui ou les autres), moins ça a de chances d’être exact.

Et pourtant, on dirait que l’évaluation de la dangerosité psychiatrique tient une place importante dans l’appréhension des risques de récidive d’un patient. Comment ça fonctionne ?

Une fois que l’auteur d’un crime a été déclaré irresponsable, la justice met son dossier entre les mains du corps médical qui au cours de l’hospitalisation du patient émet des avis sur l’évolution de celui-ci, comme son transfert vers un service plus souple ou son retour dans la société. Il revient enfin au préfet de trancher, en s’appuyant sur l’expertise des commissions médicales. La récidive - qui est très rare - est difficile à anticiper. La surrécidive, infiniment improbable.

Bosco Gonda, lui, est irréprochable depuis dix ans. Prévoir scientifiquement et humainement sa dangerosité, comme celles de malades similaires, n’est pas possible. Cet aspect incontrôlable, c’est ce qui est intolérable au reste de la société, pour laquelle l’aversion au risque est trop forte.

Bosco Gonda peut-il revenir à la société ? À cette question, il est difficile de ne pas prendre parti. J’ai essayé de ne pas tomber d’un côté ou de l’autre, afin que le lecteur se fasse sa propre idée.

Ce livre est aussi captivant qu’un « true crime », sans les effets pervers et sensationnalistes du genre. Les individus sont par ailleurs anonymisés. C’était voulu ?

L’opinion publique est peu au fait de l’irresponsabilité pénale et a plutôt tendance à penser que c’est une forme de ruse pour échapper à la prison. Un préjugé vieux comme le monde, comme le rappelle l’histoire d’Ulysse qui a tenté de feindre la folie pour ne pas participer à la guerre de Troie.

Quand je suis sorti de mon entrevue avec Bosco Gonda à l’issue de son audience et qu’il m’a expliqué calmement ne pas vouloir me parler, je me suis demandé si ce livre était opportun. Je n’ai pas envie de porter atteinte à son parcours médical en le médiatisant, au risque de lui nuire.

D’après les médecins, il serait aujourd’hui dangereux pour la santé mentale de Bosco Gonda qu’il reste enfermé. Ce qui est paradoxal, c’est qu’avant cela cet homme imprévisible et inquiétant pouvait me faire peur. Aujourd’hui, j’ai compris qu’il fallait que je le protège.

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