L’art sur ordonnance, une expérimentation pour patients en psychiatrie

À Montpellier, ces patients se font prescrire des visites d’expositions et des ateliers de création artistique. À ne pas confondre avec l’art-thérapie, plus commun.

SANTÉ MENTALE - Sous le haut plafond de l’ancienne école de pharmacie de Montpellier, reconvertie en centre d’art contemporain, André, Kevin et Ambre travaillent la terre glaise sous le regard d’une artiste. Envoyés par leur psychiatre, ils participent à un programme pilote d’« art sur ordonnance ».

D’âges et de parcours de vie très différents, mais avec en commun des épisodes dépressifs ou d’anxiété, ces trois patients, suivis par le département d’urgences et post-urgences psychiatriques (Dupup) de l’hôpital universitaire de Montpellier, n’étaient jusqu’ici pas particulièrement intéressés par l’art. Mais ils ont respecté à la lettre ce traitement particulier, l’espace de quelques semaines.

En 2022, ce projet a concerné trois groupes d’une dizaine de patients. Au programme : des parcours artistiques d’un mois, mêlant visites d’expositions et ateliers pratiques. À chaque séance, ils étaient accompagnés d’un étudiant des beaux-arts et d’un interne en psychiatrie, notamment chargé de l’évaluation scientifique du projet.

Entièrement gratuit pour les participants, « l’art sur ordonnance » est financé par le Mo.Co (centre montpelliérain d’art contemporain), l’Agence régionale de Santé, la Direction régionale des affaires culturelle (Drac), ainsi que la ville et de la métropole de Montpellier, qui compte dans ses murs la plus ancienne faculté de médecine du monde encore en activité.

Rompre l’isolement

« Ça libère énormément », confie dans un sourire Ambre Castells, lycéenne de 17 ans, en coulant de la paraffine dans un moule en terre glaise. « Quand je suis ici, c’est comme si tout ce qui pouvait me rendre potentiellement mal partait. »

Kevin Gineste, 23 ans, a vu son « anxiété naturelle s’apaiser ». « [Je] peux aller voir des psychologues, mais le mieux, c’est de faire des choses avec mes mains, pour extérioriser ce que j’ai en moi », dit-il, ravi d’avoir rencontré « des gens avec le même type de problèmes ».

À leurs côtés, revêtu d’un tablier blanc pour éviter de se salir, André Broussous, 60 ans, se réjouit d’avoir cette fois « amélioré » sa « façon de se servir de (ses) mains », après avoir été initié l’an dernier à l’expression corporelle, sous l’égide de la danseuse Anne Lopez.

« La chorégraphie, ça m’a apporté l’art de m’insérer dans un groupe, ce qui n’était pas évident au départ, ainsi qu’une plus grande confiance dans ma façon de m’exprimer, de me mouvoir », se souvient-il.

« Les troubles de santé mentale, comme la dépression, engendrent de l’isolement social et un manque d’estime de soi, que le fait d’être en groupe permet de rompre », souligne le professeur Philippe Courtet, du CHU de Montpellier.

« Faire sortir les patients de l’hôpital »

Pour le Mo.Co, le centre d’art contemporain de la ville, et le département de psychiatrie de l’hôpital universitaire, la « conviction » est partagée : il y a une « urgente nécessité à sensibiliser le public aux avantages de l’engagement artistique pour la santé mentale », insiste Philippe Courtet.

Inédit en France, ce projet, inspiré d’expériences menées en Belgique, au Canada ou au Royaume-Uni, a une ambition, « faire sortir les patients de l’hôpital en leur prescrivant de l’art », ajoute le professeur.

« Ici, ce ne sont pas des artistes qui vont vers des patients, mais des patients qui vont au musée, rencontrent des artistes et entrent dans leur univers », insiste Élodie Michel, autre experte en psychiatrie du CHU. « On espère que ce programme (pourra) s’étendre à tous et faire l’objet d’un remboursement par la sécurité sociale », plaide le directeur du Mo.Co, Numa Hambursin, en soulignant qu’au Canada les médecins traitants peuvent déjà prescrire jusqu’à 50 visites de musées par an à leurs patients.

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