L’arrivée de Geoffroy Lejeune au "JDD" laisse craindre le pire à ses journalistes, et au-delà

Possible extrême-droitisation de la ligne éditoriale, extension de l’empire médiatique de Vincent Bolloré... L’arrivée de l’ex-directeur de « Valeurs actuelles » à la direction du « JDD », ce 1er août, pose de nombreuses questions.

Ce que les journalistes du Journal Du Dimanche (JDD) redoutaient est sur le point de se concrétiser. Ce mardi 1er août, Geoffroy Lejeune, ex-directeur de Valeurs actuelles et proche d’Éric Zemmour, doit prendre ses quartiers à la tête de l’hebdomadaire, alors même que les employés sont entrés dans leur sixième semaine de grève pour s’opposer à cette nomination.

Fait inédit en 75 ans d’existence, le JDD n’est pas paru depuis six week-ends. La rédaction est mobilisée et fermement opposée à son nouveau patron, « dont les valeurs sont en totale contradiction avec celles du ’JDD’ » selon les grévistes. Ils demandent d’offrir aux journalistes des garanties d’indépendance juridique et éditoriale.

Mais les négociations sont au point mort, alors que le JDD, fondé en 1948, doit passer en octobre au plus tard sous contrôle de Vivendi, le groupe du milliardaire Vincent Bolloré, après une offre publique d’achat réussie sur le groupe Lagardère.

C’est dans ce contexte que Geoffroy Lejeune, 34 ans, a été nommé nouveau directeur de la rédaction par Lagardère, en juin dernier, après avoir quitté la tête de Valeurs Actuelles, un hebdomadaire considéré comme « l’antre de la droite la plus réactionnaire qui soit, raciste, xénophobe, islamophobe, identitaire », selon Les Inrocks. Le nouveau président de la maison mère de Valeurs Actuelles, Jean-Louis Valentin, souhaitait que le magazine s’éloigne de la ligne de Geoffroy Lejeune pour se rapprocher de celle d’une droite plus classique, d’après Le Monde, ce qui a conduit au départ de l’intéressé.

À ses côtés, Geoffroy Lejeune ferait venir Charlotte d’Ornellas, nous apprend Le Monde. Figure médiatique de l’extrême droite, elle a été la première à claquer la porte de Valeurs actuelles à l’éviction de son confrère. Elle serait pressentie pour prendre la tête du pôle société du JDD (éducation, politique, justice, santé). Chroniqueur régulier sur CNews et ex-rédacteur en chef de l’hebdomadaire ultra-conservateur, Raphaël Stainville serait, lui aussi, de la partie.

Vers une mutation du JDD ?

Face à ce renouvellement des équipes, les actuels journalistes du JDD, diffusé jusqu’ici chaque dimanche à près de 130 000 exemplaires, craignent le pire. « Assez vite, la seule réponse de la direction a été de nous dire : ’Si vous n’êtes pas contents, partez’», a expliqué à l’AFP une journaliste. Arnaud Lagardère a parlé de l’ouverture d’un « guichet » pour permettre à ceux en désaccord avec cette décision de partir avec des indemnités. Il sera - quoi qu’il arrive - mis en place à l’automne, date à laquelle doit être finalisée la prise de contrôle du groupe Lagardère par Vivendi.

En attendant, la direction actuelle du JDD ne veut pas céder face aux demandes de la rédaction, vent debout contre l’arrivée de Geoffroy Lejeune, et qui compte dans ses revendications majeures l’interdiction de « toute publication de propos racistes, sexistes et homophobes » dans le JDD.

Cette exigence n’a rien d’anodin. Sous la direction de Geoffroy Lejeune, Valeurs Actuelles a été condamné, en 2021, à une amende de 1 000 euros avec sursis pour injure publique à caractère raciste envers la députée Danièle Obono. L’hebdomadaire avait publié, en août 2020, un récit dépeignant la femme politique en esclave.

Pour beaucoup d’observateurs, cette nomination pourrait contribuer à modifier davantage le paysage médiatique français, avec une droitisation de la ligne éditoriale du Journal du Dimanche et sa mutation en journal d’opinion. Geoffroy Lejeune n’a pour le moment pas confirmé, ni infirmé, de tels projets. « C’est un immense honneur dans une carrière de journaliste de pouvoir travailler au service d’un titre aussi prestigieux que le JDD. Je le mesure pleinement et souhaite mettre toute mon énergie à la réussite de ce défi », a-t-il seulement déclaré sur Twitter le 23 juin.

Alors qu’il dirigeait Valeurs actuelles, Geoffroy Lejeune assumait une « volonté de conquête » idéologique liée à l’extrême-droite, dans une interview au site de l’Issep, l’école de sciences politiques de Marion Maréchal. « Nous essayons de faire progresser nos idées dans le débat public, de convaincre des gens, de défendre nos positions y compris dans les autres médias traditionnels », disait-il en fustigeant la « bien-pensance relativiste, progressiste et mollassonne ».

Des politiques frileux face à Bolloré

Sa nomination au JDD serait, selon les observateurs, attribuable à Vincent Bolloré. Et pour cause, la situation au JDD n’est pas sans rappeler les grèves d’Europe 1 en 2021 et d’i-Télé, ex-CNews, en 2016, toutes deux menées contre les ingérences présumées de l’homme d’affaires. Elles se sont conclues par des départs massifs des journalistes de ces rédactions, après, là encore, des mouvements de grèves.

La solidification de l’empire médiatique de Vincent Bolloré pose des questions, notamment sur le débat public. De quoi faire réagir à gauche, mais un peu moins à droite. « Il est où l’arc républicain pour soutenir la rédaction ? Députés Renaissance, qu’avez vous fait de votre mandat, celui de consacrer votre énergie à faire barrage à l’extrême droite ? », a tweeté le premier secrétaire du PS Olivier Faure.

Parmi quinze ministres de plein exercice sollicités par Le Monde, aucun n’a accepté de prendre position. « En droit, le ’JDD’ peut devenir ce qu’il veut, tant qu’il respecte la loi. Mais pour nos valeurs républicaines comment ne pas s’alarmer ? » s’est toutefois inquiété sur Twitter Rima Abdul Malak au ministère de la Culture, qui a reçu, ce vendredi 28 juillet, une délégation du journal.

Élisabeth Borne, elle, a assuré qu’il s’agissait d’un sujet « délicat », préférant botter en touche : « Il n’appartient pas au gouvernement d’interférer dans la gestion des médias, quels qu’ils soient. » Seul Pap Ndiaye a tenté une approche concernant cette mainmise, indiquant à l’antenne de Radio J que « quand vous regardez CNews, quand vous regardez ce qu’est devenue Europe 1, (...) la conclusion s’impose : oui, CNews c’est très clairement d’extrême droite ». Pap Ndiaye ne fait plus partie du gouvernement depuis le dernier remaniement.

Début juin, la Commission européenne a autorisé Vivendi à absorber son ancien rival Lagardère, à condition de céder sa filiale édition et le magazine Gala. Cependant, le groupe est soupçonné par cette même institution d’avoir pris le contrôle de sa cible avant le feu vert de Bruxelles, au point où la Commission européenne a ouvert une enquête formelle sur une éventuelle prise de contrôle anticipée.

De quoi contrarier les plans avec le JDD ? Pas vraiment. S’il s’avère que l’opération a été mise en œuvre trop tôt, Bolloré pourrait écoper d’une amende atteignant 10 % de son chiffre d’affaires total. L’acquisition de Lagardère, elle, sera bien actée d’ici octobre ou novembre.

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