L'Iran pourrait lâcher Bachar al Assad pour peser en Syrie

Selon des diplomates et des analystes, l'Iran pourrait accepter le départ de Bachar al Assad dans le cadre d'un accord de paix en Syrie, à condition que la République islamique soit assurée de préserver ses intérêts stratégiques dans ce pays. /Photo prise le 21 octobre 2013/REUTERS/Sana

par Babak Dehghanpisheh BEYROUTH (Reuters) - L'Iran pourrait accepter le départ de Bachar al Assad dans le cadre d'un accord de paix en Syrie, à condition que la République islamique soit assurée de préserver ses intérêts stratégiques dans ce pays, estiment des diplomates et des analystes. Soucieux de se faire reconnaître par la communauté internationale comme un acteur essentiel au Proche-Orient, l'Iran juge qu'une solution durable en Syrie n'est possible qu'avec sa participation. Téhéran serait même disposé à des compromis, comme sur un départ d'Assad. "Je ne pense pas que le maintien d'Assad soit pour les Iraniens une exigence non négociable. Ils seraient prêts à une solution de rechange, à condition que ce changement soit crédible et n'entraîne pas le chaos", dit un diplomate qui a récemment rencontré de hauts responsables iraniens. Depuis le début du conflit en 2011, l'Iran chiite a soutenu le gouvernement de Damas, dont le président appartient à la minorité alaouite, une branche du chiisme, dans un pays majoritairement sunnite. Ce soutien sans faille a compliqué encore les relations entre Téhéran et les pays arabes dirigés par des sunnites, notamment les monarchies du Golfe. Il y a un an, les chancelleries occidentales pensaient que les jours du régime d'Assad étaient comptés. Au cours de l'année 2013, pourtant, le gouvernement syrien a marqué des points, sur le plan militaire comme sur le plan diplomatique, avec l'aide de l'Iran et de la Russie. Par ailleurs, l'influence croissante des groupes djihadistes sunnites parmi les rebelles syriens inquiète les Occidentaux. Si les Iraniens sont vraiment prêts à des compromis sur la Syrie, les grandes puissances, craignant un embrasement général dans la région, pourraient prêter une oreille attentive à leurs propositions. INTÉRÊTS STRATÉGIQUES L'élection en juin à la présidence iranienne d'Hassan Rohani, considéré comme un modéré, a déjà fait bouger les lignes, comme l'illustre l'accord conclu en novembre à Genève sur le nucléaire iranien. Mais même au cas où ils accepteraient le départ d'Assad, les Iraniens ne toléreront jamais à Damas un gouvernement qui leur serait hostile. "Pour l'Iran, il serait possible de se passer de la personne d'Assad", estime Karim Sadjadpour, analyste iranien à la Fondation Carnegie pour la paix internationale. "Mais Téhéran doit aussi préserver ses intérêts stratégiques en Syrie et au Proche-Orient." Mohammad Ali Djafari, chef des gardiens de la révolution, bras armé du régime iranien, a encore souligné en décembre l'importance de la Syrie pour l'Iran. "Nous prendrons toutes les mesures nécessaires pour protéger la Syrie, et nous le ferons avec fierté", a-t-il souligné. Depuis des mois, les Iraniens forment et entraînent des milices pro-Assad en Syrie, sur le modèle des "bassidjis" iraniens. Si jamais un pouvoir hostile à l'Iran s'installe à Damas, ces miliciens seront disponibles pour le combattre. Mais malgré son soutien affirmé au président syrien, l'Iran a laissé des portes ouvertes. En février dernier, Ali Akbar Salehi, alors ministre des Affaires étrangères de la République islamique, a rencontré en marge d'une conférence internationale à Munich Moaz Khatib, qui dirigeait à l'époque la Coalition nationale syrienne (CNS), alliance rebelle soutenue par les Occidentaux. SUNNITES CONTRE CHIITES L'appui apporté à Assad est par ailleurs contesté par certains dirigeants iraniens. En août, l'ancien président Ali Akbar Hachemi Rafsandjani, qui préside actuellement le "Conseil de discernement" chargé de conseiller le guide suprême Ali Khamenei, a condamné l'usage présumé d'armes chimiques par les forces pro-Assad. De plus, le soutien iranien à Damas a enflammé les passions dans la région, sur fond de rivalités entre chiites et sunnites. Fin novembre, un double attentat à la bombe a visé l'ambassade d'Iran à Beyrouth, faisant 23 morts, dont l'attaché culturel. Un groupe sunnite, les brigades Abdallah Azzam, a revendiqué cette attaque. En Irak, où les chiites sont majoritaires, d'autres djihadistes sunnites, parfois appuyés par des tribus locales, ont lancé la semaine dernière une offensive dans la province d'Anbar, à l'ouest de Bagdad. Lundi, un responsable militaire iranien a proposé l'aide militaire de son pays au gouvernement irakien pour faire face à cette menace. Lors d'une visite à Téhéran le mois dernier, la députée européenne Marietje Schaake a pu entendre les parlementaires et autres responsables politiques iraniens plaider pour une solution politique au conflit syrien. "Le sentiment général à Téhéran, c'est que l'Iran doit participer à la conférence de Genève II fin janvier et aussi que l'avenir de la Syrie doit être décidé par les Syriens eux-mêmes", a-t-elle dit. L'Iran ne figure pas sur la liste dressée par l'Onu des pays participants à Genève II mais les Etats-Unis ont dit que la République islamique pourrait jouer un rôle en marge des discussions - ce que Téhéran juge "contraire à sa dignité". "De toute façon, le 22 janvier n'est qu'un début. Le vrai travail commencera après", fait remarquer un diplomate. Guy Kerivel pour le service français, édité par Gilles Trequesser