"L’Événement", film choc sur l’avortement clandestin en France

Une scène de
Une scène de

L’Événement, qui sort ce mercredi 24 novembre au cinéma, est l’un des événements cinématographiques de cette fin d’année. Lion d’or à la Mostra de Venise, ce récit d’un avortement clandestin dans la France des années soixante, adapté d’un texte autobiographique de la romancière Annie Ernaux, compte parmi ces films inoubliables, capables de changer des vies et de convaincre les plus sceptiques de l’importance du maintien de ce droit fondamental de plus en plus menacé.

Sa réalisatrice, Audrey Diwan, filme cet avortement de la manière la plus immersive possible, comme le faisait le Hongrois László Nemes dans son drame sur la Shoah Le Fils de Saul (2015). "C'était une de mes influences avec Elephant de Gus Van Sant. La question que je me posais était de savoir comment convoquer le corps du spectateur, ses sens, pour lui laisser ensuite l’espace nécessaire pour réfléchir et prendre position."

Le film répond à un mot d'ordre: "montrer un avortement sans détourner le regard". "Il me semblait que c’était aligné avec la démarche d'Annie Ernaux. Le livre ne détourne pas le regard." Comment se prépare-t-on à filmer des scènes aussi dures qu'inédites au cinéma? "On a beaucoup discuté en amont, mais on n'a pas répété ces scènes. Il fallait accepter la part de risque inhérente au projet, prendre le risque de trouver sur le plateau, ne pas essayer de se rassurer en amont."

"Partager cette histoire au-delà du genre"

Publié en 2000, L'Événement est un texte d'une centaine de pages écrit à la première page, "un suspense intime insoutenable" difficilement transposable à l’écran. Pour favoriser l’immersion du public, Audrey Diwan s'est assurée de pouvoir "partager cette histoire au-delà du genre", "pour que femmes et hommes ne regardent pas le personnage, mais soient le personnage".

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Une sensation obtenue à l'image par des effets de flou qui entourent le visage de l’héroïne tout au long de sa quête. "Ce flou s’accentue au fur et à mesure qu’elle est enfermée dans sa solitude et dans ses émotions. Elle est alors déconnectée du reste de l’époque. Le choix du cadre, le 1:37, cette espèce de format carré qui la place au centre du récit, était très important. Il me permettait de centrer le récit sur le parcours de cette jeune femme que je vais accompagner vers l’inconnu."

Audrey Diwan a consulté Annie Ernaux pour les besoins de son film. "On a exploré le livre ensemble et je lui ai posé pas mal de questions sur le hors champ, sur ce qui n’était pas dans le livre. Elle m’a éclairée. Je lui ai fait lire deux ou trois versions du scénario. Ce qu’elle a décidé de faire - et je lui en suis vraiment reconnaissante - a été de pointer tout ce qui lui semblait moins juste. Non pas ce qui n’était pas dans le livre, mais ce qui ne lui semblait pas juste au regard de l’époque: un geste, une réflexion..."

Violences culture et sociale

Le mot "avortement" n’est jamais prononcé au cours du film. "Il n’est pas dit, parce qu’il y a un passage du livre d’Annie Ernaux sur ce que signifie à l’époque le fait de ne pas le prononcer. Quand on commence à poser des mots, c’est que les mentalités changent. Le silence fait partie inhérente de ce système qui perdure."

Face au poids du silence lié à l’avortement, le film dresse avant tout le portrait d'une "société française qui condamne le désir et qui le condamne plus chez la femme, parce qu'on a tendance à faire entendre aux jeunes femmes qui tombent enceintes que c’est la juste punition de pulsions qu’elles ont assouvies." Plus que l’avortement, le véritable sujet du film est la jouissance féminine, trop peu représentée au cinéma. "Je voulais montrer ce qu’était ce désir condamné, ce qui se passe lorsqu’on se retrouve emprisonné dans un corps de femme enceinte et qu’on ne veut pas de cet enfant."

Les scènes les plus choquantes du film ne sont pas celles mettant en scène l’avortement clandestin, mais bien les multiples rendez-vous de l’héroïne avec ses médecins, qui lui font comprendre qu’elle n’a pas d’autre choix que d’être enceinte. "La violence n’est pas que physique", souligne la réalisatrice. "La violence est culturelle, elle est sociale. Il y a aussi une peur. [Dans les années 1960,] les médecins risquent l’interdiction d’exercer et les autres d’aller en prison. Celles qui veulent le faire risquent aussi d’en mourir."

Une jeune actrice prodigieuse

Le film repose sur les épaules d’une jeune actrice prodigieuse, Anamaria Vartolomei, 22 ans, "trouvée par la grâce de la directrice de casting Élodie Demey". "Je voulais quelqu’un qui avait déjà tourné. Comme la caméra allait être sans cesse très, très proche de l’actrice, il fallait quelqu'un qui puisse continuer à jouer en supportant son hyper présence. Anamaria a une présence très forte, assez mystérieuse. Elle a un jeu à l’épure. Elle arrive à faire passer beaucoup en en faisant très peu."

Au-delà de la sortie française, Audrey Diwan va accompagner L'Événement à travers le monde. Elle va aussi le montrer à des lycéens, en attendant de se remettre à l'écriture. "Je ne rêve plus que de ça", confie-t-elle. "Je passe la majeure partie de ma vie seule chez moi à écrire. Je suis très heureuse de toute cette espèce d’élan qu’on donne à un film qu'au départ j’avais peur de trop peu pouvoir montrer. Je vis vraiment quelque chose de très heureux au regard du film et en même temps je ressens vraiment le besoin de m’enfermer et de me remettre au travail."

Article original publié sur BFMTV.com