Violents combats à Alep où les évacuations n'ont pas pu commencer

par Laila Bassam ALEP, Syrie (Reuters) - De violents combats ont repris mercredi à Alep après le report de l'évacuation des civils et des insurgés, qui devait débuter à l'aube dans la grande ville du nord de la Syrie. "Tout semble se passer comme si le cessez-le-feu est terminé", a déclaré le directeur de l'Observatoire syrien des droits de l'homme (OSDH), Rami Abdoulrahman. Cet accord de cessez-le-feu avait été conclu mardi dans le cadre de négociations entre les insurgés, la Russie, alliée militaire clé du régime de Damas, et la Turquie. Il devait permettre l'évacuation des combattants et des civils après quatre mois de siège et de bombardements d'une rare intensité dans une ville désormais réduite à l'état de ruines. Les opérations, prévues à partir de 03h00 GMT, n'ont pas pu débuter et les deux camps se sont mutuellement accusés d'avoir violé le cessez-le-feu. Les insurgés, dont l'explication a été confirmée par un responsable de l'Onu, ont accusé les milices chiites soutenues par l'Iran qui prêtent main forte à l'armée syrienne d'avoir fait capoter l'accord. L'Iran, disent-ils, aurait fixé une nouvelle condition à l'évacuation, exigeant qu'elle ait lieu en même temps que celle de blessés à Foua et Kefraya, deux villages chiites syriens assiégés par la rébellion dans la province d'Idlib, au sud-ouest d'Alep. "Ils ont refusé de laisser partir les gens. Ils transforment un certain nombre de choses en prétexte, parmi lesquels Foua et Kefraya, mais c'est plus un prétexte que la réalité, pour que cet accord échoue parce que les Iraniens n'en veulent pas", a dit un responsable de l'Armée syrienne libre (ASL). Des roquettes tirées par les rebelles ont fait plusieurs victimes dans les deux villages, selon l'OSDH. POCHE DE 2,5 KM² On ignore pour l'instant quand l'évacuation aura lieu. Une chaîne de télévision proche de l'opposition parle de jeudi. Selon le ministère russe de la Défense, les rebelles ont attaqué à l'aube, avant d'être repoussés par l'armée syrienne. L'OSDH signale de son côté que de nouvelles frappes aériennes ont visé les derniers quartiers tenus par les insurgés. Le Kremlin a fait savoir que le président Vladimir Poutine devait s'entretenir dans la journée par téléphone avec son homologue turc, Recep Tayyip Erdogan, de la situation à Alep. Le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, cité par l'agence Interfax, a estimé que deux ou trois jours seraient suffisants pour venir à bout de la dernière poche de résistance. Selon le ministère russe de la Défense, cité par Interfax, les rebelles ne tiennent plus que 2,5 km². Son homologue turc, Mevlut Cavusoglu, qui a poursuivi ses contacts avec ses collègues russe et iranien, a dit que des forces fidèles au régime de Bachar al Assad tentaient de s'opposer à l'accord d'évacuation. Face à cette confusion, le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Marc Ayrault, a jugé indispensable que des observateurs de l'Onu se déploient à Alep. "Ce que la France demande, c'est la présence d'observateurs des Nations unies sur place pour avoir une garantie que l'évacuation, qui est une priorité pour la population civile, (ait lieu) mais aussi que les combattants ne soient pas massacrés, pour cela il faut des observateurs", a-t-il déclaré sur France 2. SIX MILLE CIVILS SONT PARTIS Environ 15.000 personnes, dont 4.000 combattants, chercheraient, selon le Hezbollah, à quitter Alep-Est, où la situation humanitaire aggravée par les intempéries à l'approche de l'hiver préoccupe au plus haut point les Nations unies. D'après un bilan communiqué mercredi par les autorités russes, 6.000 civils, dont un tiers d'enfants, sont partis au cours des dernières 24 heures, de même que 366 insurgés qui ont déposé les armes. Ce nouvel exode n'entre pas dans le cadre de l'accord annoncé mardi soir. Une commission de l'Onu chargée d'enquêter sur les crimes de guerre commis en Syrie a fait état mercredi de "nombreux signalements" d'exactions imputées aux forces gouvernementales. L'armée syrienne a nié procéder à des exécutions sommaires de prisonniers et recourir à la torture. Les enquêteurs de l'Onu disent en outre disposer d'informations selon lesquelles les rebelles du Djabhat al Cham, ex-Front al Nosra, et d'Ahar al Cham empêchent les civils de fuir les combats ou se mêlent à eux. Moscou a accusé les insurgés d'utiliser plus de 100.000 personnes comme boucliers humains. La reprise d'Alep est la plus grande victoire du pouvoir syrien contre une rébellion entamée en 2011 en plein "printemps arabe", un conflit qui a fait plus de 300.000 morts, selon l'Onu. Le président Assad a salué la victoire des forces gouvernementales comme un tournant dans le conflit et un prélude à de nouvelles offensives contre les enclaves rebelles. Pour la Russie, dont l'intervention militaire en faveur de Damas entamée en septembre 2015 a bouleversé l'équilibre des forces, la reconquête d'Alep est une victoire considérable contre les "terroristes", expression qu'utilise le régime syrien pour désigner l'ensemble des rebelles, qu'ils soient nationalistes ou islamistes. A l'Onu, les Etats-Unis ont condamné le déchaînement de violence dans la grande ville du Nord, assiégée et bombardée des mois durant. "Alep va s'ajouter à la liste des événements de l'histoire mondiale qui définissent le mal contemporain, qui entachent encore nos consciences des dizaines d'années plus tard. Halabja, le Rwanda, Srebrenica, et aujourd'hui Alep", a dit l'ambassadrice des Etats-Unis, Samantha Power. "Êtes-vous vraiment incapables d'éprouver de la honte ? N'y a-t-il littéralement rien qui puisse vous faire honte ?", a-t-elle ajouté, s'adressant directement à la Syrie, à la Russie et à l'Iran. (avec Tom Perry et Lisa Barrington à Beyrouth, Christian Lowe à Moscou, Orhan Coskun à Ankara et Marine Pennetier à Paris, Nicolas Delame, Henri-Pierre André et Jean-Philippe Lefief pour le service français, édité par Gilles Trequesser)