Législatives: une page contrefaite de la coalition gouvernementale promet 100 euros aux électeurs

Les sondages avant le premier tour des élections législatives dimanche 30 juin ne sont pas favorables aux partis de la coalition gouvernementale au pouvoir, leur promettant un net recul. Des publications sur les réseaux sociaux affirment que, "désespérés", les partis soutenant Emmanuel Macron promettent sur leur page web de donner 100 € à chaque électeur. C'est faux, la page web est une copie de la page véritable de la coalition pour usurper son identité, et certaines sources attribuent la manoeuvre désinformationnelle à des réseaux pro-russes.

"Désespéré Macron promet aux Français 100 euros pour soutenir son parti: La coalition parlementaire française Ensemble, dirigée par le parti Renaissance fondé par Emmanuel Macron , offre 100 euros à tous les Français qui voteront pour les candidats de la coalition lors des prochaines élections législatives du 30 juin.", affirme une publication sur Facebook, archivée ici.

<span>capture d'écran réalisée le 28 juin</span>
capture d'écran réalisée le 28 juin

"Les utilisateurs français de X (Twitter) ont découvert une publicité inhabituelle pour l'association de partis Ensemble - https://ensemble-24.fr/ , dite « majorité présidentielle », qui regroupe plusieurs partis français, dont le parti Renaissance d'Emmanuel Macron", affirme un autre, partageant un lien, archivé ici, semblant être la page officielle de la coalition des partis politiques rassemblés derrière Emmanuel Macron et le gouvernement de Gabriel Attal, Ensemble pour la République.

<span>Captures d'écran des sites réalisées le 28 juin</span>
Captures d'écran des sites réalisées le 28 juin

Seulement, il s'agit d'une usurpation, une manoeuvre de désinformation récurrente et souvent attribuée par les experts et les services de sécurité à des manipulateurs en lien avec la Russie, baptisée Doppelgänger, sur laquelle l'AFP a déjà écrit à de nombreuses reprises (ici, ici, ou ici, par exemple). Schématiquement, l'opération consiste à créer un site copiant l'original, avec une adresse très proche (ici "ensemble-24.fr" au lieu de "ensemble-2024.fr"), d'insérer dans cette page des fausses informations (ici, l'affirmation que les électeurs seront rémunérés), d'insérer dans la page des liens hypertexte renvoyant vers le vrai site (ici cliquer sur "La campagne", "Faire procuration" ou "Nos candidats", renvoie sur les pages du vrai site), et ensuite de pousser la diffusion sur les réseaux sociaux.

Le Doppelgänger, du nom d'un double maléfique dans les mythologies de l'Europe du Nord, est généralement utilisé pour confectionner des faux sites de médias.

Des contenus reprenant ces éléments ont été diffusés en français sur X (archivé ici), mais aussi en anglais ou en portugais.

<span>Captures d'écrans réalisées le 28 juin</span>
Captures d'écrans réalisées le 28 juin

Sollicitée par l'AFP, la formation Ensemble n'était pas disponible pour commenter ces événements. Plusieurs sources voient la main des Russes derrière la création de ce faux site et les tentatives d'en diffuser l'existence.

L'entreprise américaine d'analyse de la menace cyber Insikt Group "a identifié un site lié à CopyCop (un réseau russe, NDLR) essayant probablement de dépeindre négativement le président Macron et son parti Renaissance (membre de la coalition Ensemble, NDLR), en utilisant un site inauthentique copiant la coalition présidentielle +Ensemble pour la République+ pour promettre frauduleusement une récompense de 100 euros aux électeurs", affirme-t-elle dans une étude publiée vendredi (archivée ici).

CopyCop est "un réseau d'influence probablement aligné sur le gouvernement russe, utilisant l'intelligence artificielle et des sites inauthentiques pour diffuser du contenu politique", selon RecordedFuture, la maison-mère d'Insikt Group.

Les autorités françaises sont aussi informées de l'existence de ce faux site, selon une source gouvernementale ayant requis l'anonymat. Il a été créé le 19 juin et la tentative de diffusion sur les réseaux a commencé le 26 juin, selon cette source, qui ajoute que les autorités françaises voient la main des Russes, car "l'existence du site +ensemble-24+ et été rapportée sur le site +France en colère+ et l'écosystème de faux médias de Dougan", du nom de John Mark Dougan, un ancien policier américain installé en Russie.

Il est accusé, par exemple par l'entreprise de lutte contre la désinformation Newsguard, d'être un propagandiste du Kremlin (archivé ici).

Le chercheur français David Colon, spécialiste de la désinformation, attribue lui aussi la responsabilité aux réseaux russes. "Nouvelle opération de désinformation du Kremlin. Le réseau de faux médias affilié à #CopyCop de John #Dougan a créé le 19 juin un clone du site officiel d’#Ensemble pour diffuser de fausses informations dans le but de saper la confiance dans la sincérité du processus électoral ", écrit-il sur X (archivé ici).

Le site "France en colère", dont le slogan est "Apporter en France l'actualité vraie et sans fard" a effectivement publié un article sur le sujet le 26 juin, archivé ici.

"Copycop utilise maintenant deux sites francophones inauthentiques, veritécachée.fr et franceencolère.fr", affirme Insikt Group, affirmant "qu'ils vont probablement être utilisés pour publier des +deepfakes+ contre l'administration Macron".

La Russie est régulièrement accusée par de nombreux experts ou gouvernements, à l'instar d'autres pays, d'entretenir de multiples réseaux de manipulation de l'information utilisés pour parasiter et influencer les sociétés occidentales, notamment en période électorale.

Sur le fond, promettre une rémunération en échange d'un vote est interdit car "cela porterait atteinte à la liberté et à la sincérité du vote, garanties par l'article 3 de la Constitution", explique Marie-Odile Peyroux-Sissoko, professeur de droit à l'Université de Franche-Comté. "Le principe de sincérité du vote résulte de cet article 3, comme l'a estimé le Conseil constitutionnel dans sa décision du 20 décembre 2018 (ici, NDLR) à propos de la loi relative à la manipulation de l'information", ajoute-t-elle.

Les élections législatives, convoquées après la dissolution de l'Assemblée nationale décidée par Emmanuel Macron au soir des élections européennes le 9 juin, se tiendront les 30 juin et 7 juillet. Les différents sondages anticipent que le parti d'extrême-droite du Rassemblement national (RN) arrive en tête, suivi par la coalition du Nouveau Front Populaire (NFP) qui va de l'extrême-gauche à la sociale démocratie, devant le camp présidentiel. La campagne s'achève le vendredi 28 juin.