Ken, Travis Kelce… 2023 était l’année des « himbos » et ça en dit long sur notre rapport à la masculinité

Travis Kelce et le personnage de Ken ont tous les deux été associés au cliché du himbo en 2023.
Tammy Ljungblad /The Kansas City Star /Tribune News Service via Getty Image / 2023 Warner Bros. Entertainment Inc. All Rights Reserved Travis Kelce et le personnage de Ken ont tous les deux été associés au cliché du himbo en 2023.

MASCULINITÉ - Il est grand, il est musclé et il ne sait pas épeler le mot « écureuil ». Lui, c’est Travis Kelce, joueur de football américain et nouveau compagnon de la superstar Taylor Swift. Si la chanteuse est célèbre pour le lyrisme autoréférentiel de ses paroles de chanson, l’athlète a, quant à lui, produit des chefs-d’œuvre comme ce tweet : « J’ai donné un morsseau de pain à un équureuil et il l’a exterminé direct ! ! ! ! Je ne savais pas qu’ils mangeaient du pain comme ça ! ! Haha #fou ».

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Pourtant, Taylor Swift semble conquise. Et ses fans, qui ne manquent jamais d’avoir une opinion sur la vie de leur idole, aussi. Ce qui paraît le plus les séduire ? Travis Kelce coche – dans son image médiatique en tout cas – toutes les cases du cliché du « himbo ».

Ce mot-valise, association du pronom « him » et de « bimbo », désigne un homme beau et athlétique, qui ne se distingue pas pour ses capacités intellectuelles. Son saint patron est Joey Tribianni de Friends – ventre sur pattes et incarnation humaine d’un golden retriever. Car si le « himbo » est supposé être bête, il est aussi souvent caractérisé par son enthousiasme et sa gentillesse. Et entre Ken dans Barbie, Sylvain dans Simple comme Sylvain et les tweets de Travis Kelce, 2023 a été une année prolifique pour ce stéréotype.

Des origines très testostéronées

Selon le dictionnaire Merriam Webster, le mot est apparu pour la première fois en 1988. Il est alors cité dans un article du Washington Post et, à l’époque, on est encore loin de l’image de doux idiot associée au terme aujourd’hui. « Leur tour de poitrine rivalise celui de Dolly Parton. Leur cerveau ferait honte à un calamar », ironise le quotidien américain avant de citer Arnold Schwarzenegger ou Sylvester Stallone comme exemples et de poursuivre : « l’Amérique a dit oui à la testostérone ».

L’origine du « himbo » se trouve donc dans la masculinité musclée et ultra-virile de l’ère Reagan. Mais au fil des années, le stéréotype va évoluer et s’éloigner des hommes-machines des années 1980 pour désigner des personnages bien plus attachants, comme Thor dans les films Marvel ou Jason dans la série The Good Place. Et c’est justement parce que le cliché offre aujourd’hui un modèle alternatif à l’hégémonie viriliste (dans un emballage pourtant toujours très viril) qu’il est si apprécié.

« Ça renverse les stéréotypes »

« C’est clairement une blague mais ça renverse aussi les stéréotypes », analyse ainsi Pam Wojcik, professeure à l’université américaine de Notre-Dame et spécialiste du genre au cinéma. « Les femmes qui étaient traitées comme des bimbos étaient réduites à leur apparence, à leur jeunesse. Le himbo est un contrepoint parodique, post-féministe à ce cliché. »

Un point de vue qui rejoint celui de Marianne Kac-Vergne, maîtresse de conférences à l’université de Picardie Jules Verne, spécialiste d’histoire américaine et des genres hollywoodiens. Pour elle, le himbo « remet en cause le discours rétrograde autour de la supériorité des hommes et propose un autre modèle que celui de l’homme qui doit réussir partout et toujours s’imposer et dominer plus ».

Car, dans son incarnation récente, le himbo est construit en contraste aux femmes bien plus intelligentes et compétentes qui l’entourent (Ken et Barbie, Thor et Jane Foster, ou encore Josh et Rebecca dans la série Crazy Ex Girlfriend). Et face à ces modèles féminins, notre grand benêt choisit souvent la douceur, l’admiration et le respect plutôt que la rivalité (à l’exception notable de Ken quand il découvre le patriarcat).

Misandre, le himbo ?

Cette attitude rafraîchissante participe à son succès. Pam Wojcik a ainsi noté une recrudescence des personnages de himbo dans la période post mouvements MeToo et Black Lives Matter. « Il y avait cette masculinité agressive, celle de la police, celle des histoires de harcèlement sexuel, et dans ce contexte le “himbo” apportait une forme de réconfort », résume-t-elle.

Mais en renversant les clichés pour offrir un fantasme d’homme-objet, ne risque-t-on pas de tomber dans la misandrie ? Pour Pam Wojcik, on en est encore loin. « Si c’était la seule manière dont les hommes étaient représentés, peut-être, estime-t-elle. Mais les hommes tiennent encore les rênes du pouvoir, à Hollywood comme ailleurs. Et on célèbre toujours des versions de la violence masculine et du pouvoir masculin. Les himbos ne sont pas la seule représentation, et ça reste une sorte de parodie finalement assez douce. »

Un cliché qui a ses limites

Le problème de ce stéréotype se situe peut-être ailleurs, dans tout ce qu’il ne déconstruit pas vraiment. S’il ambitionne d’offrir une différente version de la masculinité, le cliché du himbo reproduit les codes esthétiques traditionnels de la virilité : taille imposante, stature carrée et abdos toujours parfaitement dessinés.

Surtout, pour Marie Pierre Huillet, enseignante à l’université Toulouse Jean Jaurès spécialiste des questions de genre dans les médias, le stéréotype s’inscrit toujours dans un rapport de pouvoir asymétrique entre hommes et femmes. « C’est le pendant de la bimbo donc ça ne fait que reproduire un système, ça ne le déconstruit pas, estime-t-elle. On inverse la dynamique mais on reste dans des relations de pouvoirs et on ne fait que renforcer quelque chose qu’on a déploré. »

Mais déconstruction ou pas, le himbo a tout même un avantage de taille par rapport à la traditionnelle bimbo : l’indulgence que lui porte le public. Beaucoup l’ont clamé au moment de la sortie de Barbie, la star du film, c’est Ken. Au-delà de la parodie, le himbo le plus célèbre de 2023 a le droit à son propre arc narratif, à des moments de vulnérabilité et de rédemption. Un privilège que les bimbos et autres femmes-objets de l’histoire d’Hollywood n’ont jamais connu.

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