Justice des mineurs : Gabriel Attal veut étendre la comparution immédiate, ces magistrats lui répondent
POLITIQUE - Il prône un « sursaut d’autorité », ils lui répondent que les mesures annoncées « existent déjà ». Les magistrats ont accueilli avec beaucoup de scepticisme l’annonce de Gabriel Attal sur un projet de loi « avant la fin de l’année » sur la justice des mineurs.
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Principale mesure présentée par le Premier ministre ce vendredi 24 mai : une procédure de « comparution immédiate » pour les jeunes de plus de 16 ans, « dans certains cas » de violence aggravée, réservée aux « récidivistes ». Par celle-ci, « le tribunal se prononce à la fois sur la culpabilité et la sanction, tout de suite après l’infraction », a-t-il souligné.
L’« audience unique » existe déjà
« On ne doit pas juger les mineurs comme des majeurs », prévient Aurélien Martini, secrétaire général adjoint de l’Union Syndicale des Magistrats (USM), qui voit « difficilement » comment cette mesure, allant à l’encontre des engagements internationaux de la France, pourrait être constitutionnelle.
D’autant qu’un mécanisme adapté à ce profil de mineurs « existe déjà », souligne Kim Reuflet, présidente du Syndicat de la magistrature (SM, classé à gauche).
Il s’agit de la procédure dite d’« audience unique », qui permet de déferrer un jeune de plus de 16 ans le jour même, avec une mesure de sûreté immédiate (contrôle judiciaire, placement, prison), avant une audience de jugement, dans le mois qui suit pour les faits les plus graves.
C’est « extrêmement rapide et largement suffisant », note Alice Grunenwald, juge pour enfants à Saint-Etienne et présidente de l’Association française des magistrats de la jeunesse et de la famille. Les délais, souligne-t-elle, sont même souvent « plus courts » qu’en comparution immédiate pour adulte, où le mis en cause a systématiquement le droit de demander un report de l’audience « pour préparer sa défense », et n’est donc jugé que quelques semaines ou mois plus tard.
La précédente réforme de la justice des mineurs n’a pas trois ans
Comme d’autres, Alice Grunenwald fait part de sa « vraie incompréhension » d’une nouvelle réforme « absolument inutile » de la justice des mineurs, alors que la précédente, portée par l’actuel garde des Sceaux, Eric Dupond-Moretti, qui voulait juger « mieux et plus vite », n’a même pas trois ans.
D’autant que les premiers résultats sont bons : en octobre dernier, un rapport d’évaluation parlementaire soulignait les délais « considérablement » raccourcis de jugement - salués par les magistrats - grâce à un mécanisme fixant un temps contraint pour statuer sur la culpabilité du mineur (trois mois), et prononcer une sanction (six à neuf mois supplémentaire).
« La difficulté aujourd’hui n’est pas de prononcer le jugement, mais le manque de moyens pour exécuter la peine », explique Aurélien Martini, de l’USM. « Le dossier arrive sur une pile de dossiers, le jeune ne voit rien venir pendant 4-5-6 mois » après le prononcé de sa condamnation... « ça a beaucoup moins de sens ».
« C’est un pur effet d’annonce »
Gabriel Attal s’exprimait pour un « point d’étape » à mi-chemin de deux mois de consultations lancées en avril, après la mort de Shemseddine, 15 ans, passé à tabac près de son collège, un événement qui avait soulevé une immense émotion. Les autres mesures annoncées vendredi sont également décriées par les magistrats comme de « la communication ».
Le placement en foyer « pendant une quinzaine de jours » d’un jeune dès le « premier fait grave », pour le couper « de ses mauvaises fréquentations » ? « C’est déjà parfaitement possible », explique Alice Grunenwald. « Il n’y a pas de problème de texte, pas de résistance du juge des enfants. La grande difficulté aujourd’hui c’est de trouver une place en foyer, c’est ça qui bloque ».
Quant au travail d’intérêt général « en peine complémentaire » (en plus de la peine principale) pour les parents condamnés pour « soustraction à ses obligations légales » envers leurs enfants... « c’est un pur effet d’annonce », dit Kim Reuflet. « Ça ne changera rien à la pratique judiciaire puisqu’il est déjà possible de prononcer du travail d’intérêt général » en tant que peine principale.
Après les émeutes ayant fait suite à la mort de Nahel l’été dernier, Eric Dupond-Moretti avait appelé les parquets à se saisir plus de cette infraction pour poursuivre les parents « défaillants ». Les condamnations ont augmenté de 38 % en un an, passant de 97 condamnations pour le premier trimestre 2023 à 134 au premier trimestre 2024, selon la Chancellerie, qui n’était pas en mesure vendredi de donner un quantum des peines prononcées.
« Tout l’arsenal législatif existe », conclut Alice Grunenwald. « On ne peut pas changer notre loi à chaque fait divers, et encore moins quand elle fonctionne ».
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