Julie Chatry, victime d'un deuil périnatal : "On ne fait pas le deuil d’un enfant. Le deuil d’un enfant dure toute la vie"

Viols, agressions, deuils insurmontables, accidents de la vie : dans "Trauma", anonymes et célébrités reviennent pour Yahoo sur un traumatisme qui a bouleversé leur vie.

Julie Chatry est maman de trois enfants, ainsi que du petit Noé décédé après seulement quelques heures de vie à la maternité. Aujourd’hui, Julie se bat pour mettre en lumière le deuil périnatal et pour faire reculer le tabou autour de cette souffrance que vivent de nombreux parents. Pour Yahoo, elle se livre avec courage sur son long parcours de deuil.

Julie se décrit comme "Mamange", une contraction des mots "maman" et "ange" utilisée dans le deuil périnatal pour décrire une maman qui a perdu son enfant avant la naissance ou après quelques heures de vie. La jeune femme a été atteinte d’un streptocoque durant sa grossesse. Une bactérie qui est passée dans le placenta et qui a infecté le nourrisson. Avec son mari, ils décident l’arrêt des soins de Noé après 13 heures de vie (Retrouvez l'intégralité de l'interview en fin d'article).

C’est en avril 2019 à Lyon que Julie Julie met au monde Noé, par césarienne. L’opération se déroule en urgence car le cœur du bébé ne bat plus. Julie se réveille seule après l’anesthésie générale. Désemparée, elle cherche après son bébé. "Je n’avais plus mon fils dans mon ventre, je ne savais pas où il était", se rappelle-t-elle. Son mari la rejoint rapidement, mais les nouvelles ne sont pas bonnes : le petit a dû être réanimé après 30 minutes. Auxiliaire de puériculture de métier, l’information ne fait qu’un tour dans la tête de Julie : "Je sais que 30 minutes chez un tout petit, c’est trop long. Tout ça, j’en suis consciente, et en même temps, j’ai mon cœur de maman qui me dit : "Oui, mais on s’en fiche, il est là"."

"Il s’était battu assez et maintenant c’était à nous de nous battre pour lui et de le laisser partir"

À l’arrivée du pédiatre, c’est comme une deuxième claque pour la jeune maman. Toutes ses craintes se révèlent justes. Acidose, arythmie, dyspnée… Les conséquences sont nombreuses : "Il était là, mais il était déjà partiellement plus là".

Lorsqu’elle peut enfin rejoindre son enfant, la scène paralyse Julie : "Il était évidemment branché de partout. Moi, mon métier, c’était de m’occuper d’enfants dans des circonstances semblables. Et là, j’étais en incapacité de toucher mon fils…".

Au bout de quelques heures, l’état de Noé s’aggrave encore. Le personnel hospitalier propose à Julie de prendre son bébé sur elle. Une décision lourde de conséquences : "Je savais très bien qu’à partir du moment où je le prendrais sur moi, c’était terminé, c’était l’arrêt des soins, mais j’ai dit oui". Le couple décide alors que leur enfant s’est assez battu : "Maintenant c’était à nous de nous battre pour lui et de le laisser partir".

Dans l’intimité d’une chambre, les parents font leur dernier aurevoir à leur fils, lui chantent une berceuse, et lui disent à quel point ils l’aiment. Julie se rappelle ses dernières paroles adressées à son enfant avec émotion : "J’avais à lui dire tous les "Je t’aime" du monde en quelques minutes. Que j’étais extrêmement fière de lui. Que toute sa famille l’aimait (…) qu’il avait le droit de partir simplement, qu’il ne devait pas lutter, qu’il devait accepter de partir et que ça irait pour nous".

"Le deuil d’un enfant, il dure toute la vie"

Julie se confie sur la culpabilité qui l’a traversée après le décès de son enfant. "Ça se passe dans notre corps, donc en temps que maman, on se sent nulle, vraiment. On se dit qu’on a pas réussi à protéger notre enfant".

S'ensuit un long et douloureux chemin à travers le deuil, qui selon elle, ne peut pas prendre fin : "On ne fait pas le deuil d’un enfant. On fait le deuil de ce qu'on aurait aimé pour lui, de ce qu'on aurait aimé partager avec lui, de ce qu'il aurait pu devenir, mais le deuil d’un enfant dure toute la vie".

La famille remet alors tout son mode de vie en question, et décide de partir sur les routes en caravane. Ils quittent leur emploi, vendent tous leurs biens. "On voulait se créer de nouveaux souvenirs avec nos enfants", se rappelle Julie. À ce moment-là, le couple compte deux garçons, Matéo, 6 ans et Sacha, 5 ans. Une belle trêve pour cette famille qui a vécu le pire et qui leur permet de pouvoir respirer à nouveau.

"Ça renforçait encore plus mon sentiment de ne pas être capable de donner la vie, de porter la mort"

Le couple décide rapidement d’avoir un autre enfant. "C’était ambiguë parce que j’avais très peur, mais en même temps, je sentais que j’avais besoin de gagner un combat", explique Julie. Une façon pour elle de faire "un pied de nez à la mort". De nouveaux obstacles l'attendent pourtant, et elle subit deux fausses couches. Une épreuve très difficile à vivre : "Ça renforçait encore plus mon sentiment de ne pas être capable de donner la vie, de porter la mort". Mais après s’être accrochée et avoir rencontré des professionnels, Julie tombe enfin enceinte de sa petite fille. Une grossesse compliquée psychologiquement pour elle, toujours marquée par la perte de Noé et la peur de subir ça à nouveau. La jeune femme confie même qu’elle avait peur de l’aimer : "Ce n’est pas qu’elle n’était pas désirée, au contraire. Mais je me suis dit : "Si je m’y attache et qu’elle part, je vais mourir". Mais c’est avec des larmes de soulagement que Julie accueille sa petite fille en pleine santé, nommée Evie, qui signifie porteuse de vie.

"C’est déjà suffisamment dur de perdre un enfant sans qu’en plus ,on se retrouve avec un tabou à porter"

Quatre ans après le décès de Noé, Julie se dit en paix et être une maman comblée. Noé n’est pas un tabou dans sa vie de famille. Elle parle tous les jours de lui avec ses trois autres enfants et son époux. "Il est partout avec moi, dans tout ce que je fais, dans tout ce que j’entreprends, il est gravé sur mon corps". Un tatouage des empreintes de Noé orne le cœur de Julie, un moyen pour elle de garder un contact physique avec son fils. Elle est également l’auteure de "Vole petit prince", un hommage à son enfant dans lequel elle raconte son histoire au travers d’extraits de son journal intime. Elle y décrit le cheminement et les émotions par lesquelles passent les parents endeuillés. "Pour moi, on est maman à partir du moment où on porte un enfant", explique-t-elle. "Mon nouveau combat c’est ça. Je veux faire reculer le tabou autour du deuil périnatal et je me donnerais les moyens d’y arriver".

Retrouvez l'intégralité de l'interview de Trauma de Julie Chatry :

Article : Coralie Fricher