"Je n'ai jamais eu peur, jamais" : Josette Torrent raconte son passé de résistante, à 12 ans

Chez Josette Torrent, la Résistance est une affaire de famille. Elle n’a que 12 ans lorsqu’elle rejoint son père dans un réseau clandestin luttant contre l’occupation nazie. Aujourd'hui âgée de 93 ans, la plus jeune résistante de l’Histoire a répondu aux questions de Yahoo.

Quand la Seconde guerre mondiale éclate en 1939, Josette a à peine dix ans. Trois ans plus tard, en septembre 1942, son père lui révèle qu’il est résistant et lui demande de transmettre un document "très important" à sa place, car il est malade ce jour-là. "J’avais 12 ans, 4 mois et 17 jours", compte-elle en souriant.

"Je n’ai jamais eu peur"

C’est le début d’une longue mission qu'elle raconte dans le livre J'avais 12 ans et j'étais résistante (2023, éditions Harper Collins). Pendant deux ans, Josette sera l’agent de liaison de son père, dans le plus grand secret, jusqu’à la libération de Perpignan. Même sa mère, elle aussi résistante, ignorait tout des activités clandestines de sa fille. Elle porte de nombreux documents secrets, transmet des messages, et vole même l’appareil photo d’un officier allemand, tout en agissant en apparence comme la plus banale des collégiennes, afin de n’éveiller aucun soupçon.

Toute petite fille qu’elle était, Josette se sentait "prête" à accomplir ces missions périlleuses, car elle était marquée par le souvenir glaçant du "bruit des bottes" des soldats allemands pénétrant dans la ville de Saint-Malo, qu’elle et sa famille avaient fuie pour s’installer en zone libre, à Perpignan. "Je voulais fiche ces Boches dehors", lâche-t-elle. "Je n’ai jamais eu peur, jamais."

"J'ai tout brûlé, mais je n'ai pas pu brûler mon atlas, il y avait le souvenir de mon père"

Pas même le jour de l’arrestation de son père. Gardant son sang-froid, la fillette exécute les consignes qu’il lui a données pour ce cas précis : elle prévient un contact de la Résistance à l’aide d’une phrase codée avant de rentrer détruire tous les documents en lien avec le réseau. "J'ai tout brûlé, mais je n’ai pas pu brûler mon Atlas, qui me servait à transmettre les documents", dit-elle en montrant ce livre qu’elle a toujours conservé car il est orné d’un drapeau tricolore dessiné par son père.

"Les déportés revenaient si maigres, je pensais ne pas reconnaître mon père"

Arrêté, torturé, son père a ensuite été déporté. "Pendant un an, on n'a pas eu de ses nouvelles, c’était affreux", confie-t-elle. Elle se souvient s’être rendue à la gare avec sa mère, dans l’espoir de voir son père descendre de l’un des trains qui ramenaient les déportés en France. "Les déportés étaient tellement maigres, on ne voyait que leurs yeux. J’ai eu une panique, j’ai pensé que je ne reconnaîtrai jamais mon père", glisse Josette Torrent.

"Je me disais : "Papa n'est pas mort""

Elle et sa mère retournent régulièrement à la gare, avec une photo de Michel Torrent, dans l’espoir d’obtenir des nouvelles. Ce n’est que fin mai 1945 qu’un déporté le reconnaît et leur annonce qu’il est mort au camp de concentration de Flossenbürg, en Allemagne, fin 1944. "Je suis devenue un bloc", se rappelle-t-elle. "Je n’ai pas pu pleurer, je me disais : "Papa n’est pas mort", et je suis restée dans ce déni pendant 40 ans." "J’ai vécu toute ma vie comme si j’étais dans la Résistance", ajoute-t-elle.

Est-ce à cause de ce choc qu’elle a tu son passé de résistante durant des années, même à son époux ? "J’ai vécu comme tout le monde, je me suis mariée, j’ai eu des enfants, tout ça. Mais intérieurement, c’était pas ça", dit Josette Torrent. "J’ai vécu deux vies en une. Une que je faisais voir, et l’autre que je gardais secrète. Mais on ne vit pas, moi, je dis qu’on survit", souffle-t-elle, émue.

Si elle tait son passé de résistante à tous, elle évoque très souvent son père, dont elle n'admettra la disparition qu'en 1993, lorsque la plaque d'une rue portant le nom de son père est changée. Sa fille aînée dira même : "Nous avons vécu avec un fantôme, ma mère voyait son père partout". Un père auquel elle s'adressera bien souvent. Comme elle le confie pour la première fois, lorsque son fils passe près de mourir après un infarctus en 2016, c'est naturellement à son père qu'elle en appelle, lui demandant de l'aider dans cette épreuve. "Mon fils s'en est sorti", confie-t-elle non sans émotion.

"On m’a dit que de Gaulle venait, je me suis enfermée aux toilettes"

La plus jeune résistante de France aurait pu rencontrer le général de Gaulle, chef de la France libre. C’était à Limoges en 1945, pendant le championnat de France de cross auquel elle participait, et qu’elle a remporté. "Quand on m’a dit que De Gaulle venait, je suis partie m’enfermer dans les toilettes… j’étais tellement émotionnée, que je n’ai pas vu De Gaulle", rit-elle encore aujourd'hui.

Interview vidéo : Alexandre Delpérier