Les joies du numérique dans les transports publics quand on est vieux

Dans les bus et métros - Pour les transports en commun, la décision appartient aux régies qui officient dans chaque ville. La plupart ont décidé d'adapter -dans leur règlement- les mêmes règles que pour le tabac. \

SENIORS- Je suis vieux, un jeune vieux, j’ai 68 ans, et les consignes sont claires, pour rester en bonne santé, il faut bouger ; Il ne faut pas s’arrêter de bouger même si on a des rhumatismes, c’est bon pour la santé.

Mais bouger, c’est aussi sortir de chez soi, c’est continuer à avoir une vie sociale et lutter contre l’isolement quand on est vieux. Alors pourquoi est-ce devenu si difficile de se déplacer quand on vieillit ? Pourquoi le numérique devient-il un obstacle au lieu de nous aider à nous déplacer sans problème ? Pourquoi lorsqu’une municipalité organise une journée de la mobilité, est-ce la plupart du temps une journée sans voiture ? Pourquoi les associations de personnes vivant avec un handicap ne sont-elles pas plus écoutées ?

Pour illustrer mon propos, je vais vous raconter un trajet que j’ai fait depuis la banlieue parisienne où je vis pour aller à Roubaix. Je devais intervenir lors d’un séminaire sur la vieillesse, pour cela j’avais prévu de faire un aller-retour dans la journée.

La dématérialisation des titres de transport : une exclusion supplémentaire

Prérequis, je suis un ancien ingénieur en électronique, je suis encore alerte et je suis équipé d’un smartphone, d’un ordinateur et d’un abonnement internet.

Inutile de vous dire que de nos jours, acheter un billet de train si on n’a pas le kit du parfait internaute, on peut tout de suite rester chez soi… Et voyager en regardant la télé… Acheter un billet de train à la gare la plus proche de chez vous est devenu mission quasi impossible.

C’est le cas de la commune où j’habite en proche banlieue de Paris. Une petite gare dans laquelle on pouvait il n’y a pas si longtemps, acheter des billets de train et se faire conseiller sur son trajet. Tout cela est bien fini, et je me retrouvai donc le matin à la gare de Bièvres, à la recherche de l’automate pour acheter mon premier ticket de transport pour le RER.

Quelques jours auparavant je m’étais débattu avec le site de la SNCF pour avoir un trajet Paris-Roubaix au meilleur prix. Lors de la réservation on m’a demandé bien sûr si j’avais plus de 60 ans, comme si la SNCF allait déployer pour moi une assistance particulière, mais cela ne doit être que pour ses statistiques…

Je paye, je charge mon QR code sur mon téléphone en me disant que j’étais paré pour mon voyage nordiste… Pauvre Pérette, tu es bien naïve !

J’achète donc mon billet Bièvres-gare du Nord avec changement à Massy. Pour payer ce fut un peu compliqué, mais j’y suis arrivé.

Le changement de RER à la gare de Massy a été ma première surprise… Pour passer du RER B au RER C il faut rejoindre une immense passerelle qui est bien à 10 m au-dessus des voies et que l’on ne rejoint que par des escaliers et un escalator… Qui bien sûr était à l’arrêt.

J’aurais eu une valise, je pense que je serais déjà arrivé en piteux état tout en haut des escaliers.

Bien que le département ait supprimé les billets cartonnés pour le métro, il semble que pour les RER ce ne soit pas encore le cas. J’avais pourtant par précaution acheté ma carte Navigo Easy, que j’avais préchargé pour faire des trajets, mais qui s’est avérée inexploitable pour prendre un billet pour le RER…

Je passe donc mon portillon avec mon billet réglementaire et accède à mon nouveau RER direction Gare du Nord.

Des contrôles, des contrôles… Pas beaucoup d’assistance

À mon arrivée dans la gare je me suis retrouvé dans un passage souterrain qui donne accès aux différentes voies. Je repère sur les écrans celle de mon TGV INOUI pour Lille et arrive devant 2 portillons électroniques qui contrôlent l’accès aux quais. Je sors mon smartphone, recherche mon QR Code et l’approche vers le lecteur censé me délivrer mon passage.

Que nenni ! J’avais beau présenter de toutes les façons mon écran à ce méchant portillon, rien n’y faisait. Habitué à contourner les obstacles, je me suis dirigé vers le deuxième portillon me disant que celui-ci ne devait pas fonctionner. Une dame était déjà à l'œuvre et visiblement s’évertuait comme moi à faire lire son pass magique !

Oui, il faut bien dire, que parfois, la technologie ressemble à de la magie, on ne sait pas trop quand ça va marcher et on réessaye tel un magicien amateur jusqu’à ce que la formule magique fonctionne. En essayant de nouveau de tromper le cerbère électronique, je m’aperçois que mon téléphone fait apparaître mes cartes de paiement dès que je l’approche de l’écran… Est-ce à dire que le portillon souhaiterait me refaire payer un billet que j’ai déjà acheté ?

Miraculeusement, la dame passe de l’autre côté et me propose son aide pour franchir le passage interdit. Qui dira que l’électronique supprime les contacts humains, parfois il les favorise… À deux nous essayons toutes les façons pour faire céder le portillon mais en vain… Jusqu’à ce qu’un monsieur de la sécurité, qui devait observer depuis quelques minutes notre manège ne s’approche de nous et au miracle, utilise son badge super-magique pour me laisser passer ! Merci la sécurité !

Sur les quais, il faut rattraper le temps perdu et remonter les 2 rames de TGV pour trouver la bonne place. Ouf ! C’est bon…

Arrivé à Lille, je réalise que le trajet que j’ai acheté pour aller jusqu’à Roubaix m’oblige à une attente de 45 minutes pour prendre ma correspondance, alors que le métro de Lille va à Roubaix centre toutes les 5 minutes.

J’aurais aimé le savoir avant d’acheter mes billets mais au diable l’avarice, je pars pour m’acheter un billet de métro.

À Lille c’est très différent, ce sont des petites cartes passe-passe. J’achète un aller-retour pour mon trajet et j’obtiens une petite carte indiquant trajet unitaire. Me serai-je trompé ? Nulle trace de mon achat qui devrait m’indiquer 2 trajets…

Personne pour me renseigner, je recherche donc l’accès aux quais…

Accès contrôlé par 2 personnes qui vérifient la validité du billet. À l’arrivée à Roubaix, dernière épreuve, vous n’allez pas me croire, l’escalator qui permet de sortir des profondeurs est… En panne.

J’intervenais sur une table ronde pour indiquer qu’il était temps de laisser les vieux s’exprimer sur leurs attentes, mais je ne pouvais m’empêcher de ruminer sur les difficultés que j’avais rencontrées pour atteindre mon but.

Une mise en échec de plus en plus fréquente qui touche à notre autonomie

Mon retour a été ponctué de la même façon de difficulté sans fin pour trouver une machine qui accepterait mes moyens de paiement pour accéder au RER. Avec mes 2 cartes bleues, mon téléphone qui me permet de payer dans tous les supermarchés, je suis pourtant bien équipé !

Inutile de vous expliquer les épreuves que rencontrent les personnes qui ont des difficultés à se déplacer… À moins d’être masochiste, il vaut mieux rester chez soi que d’utiliser les transports en commun.

Lorsque je prends ma voiture, j’ai pris un abonnement liber-T qui permet de franchir tous les péages dans toute la France, quel que soit le gestionnaire, et de payer un grand nombre de parkings dans les grandes villes.

Je ne peux m’empêcher de me demander pourquoi ce système ne pourrait pas s’appliquer aux individus qui le souhaitent pour les différents types de transports publics ?

Au lieu d’annoncer comme une grande victoire la suppression des billets du métro parisien, ne pourrait-on pas avoir un pass universel avec un décompte sur internet qui nous permette de s’affranchir de toutes ces machines qui ne veulent pas s’adapter à nous et nous mettent en situation d’échec ?

Puisque nous sommes à l’heure du numérique, ne doit-il pas être à notre service au lieu de devenir une difficulté de plus pour pouvoir se déplacer ?

Comment peut-on accepter qu’un système génère plus d’exclusion et ne soit pensé que pour le bénéfice des sociétés de transport en supprimant les frais de personnel.

Toutes ces entreprises bénéficient largement de l’argent public, il me semble. La suppression des guichets, les portiques de contrôle qui fleurissent partout, l’abandon des titres de transport lisibles ne pourraient-ils pas aussi bénéficier aux utilisateurs ?

Allons un effort… Sauter les portillons, ce n’est plus de mon âge.

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