JO de Paris 2024 : pour les sportives, les règles sont un défi supplémentaire pour viser des médailles

Une perturbation du cycle menstruel affecte la santé et les résultats de certaines athlètes, explique au « HuffPost » Carole Maître, la gynécologue de l’Insep.

Carole Maître, gynécologue des championnes françaises à l’Insep, nous parle des règles, un défi de taille lors des Jeux olympiques.
STEPHANE DE SAKUTIN / AFP Carole Maître, gynécologue des championnes françaises à l’Insep, nous parle des règles, un défi de taille lors des Jeux olympiques.

JO - On ne peut pas viser l’or en se tordant de douleur. Aux Jeux olympiques de Rio en 2016, la nageuse chinoise Fu Yuanhui a été la première à briser publiquement le tabou autour des règles dans le sport de haut niveau. À la télévision chinoise, elle expliquait avoir raté sa finale du 4x100m quatre nages à cause d’une fatigue importante liée à son cycle menstruel.

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Huit ans plus tard, avant les JO de Paris 2024, les fédérations sportives prennent davantage en compte la physiologie féminine pour adapter les entraînements, mais la prise de conscience reste lente. En 2021, deux chercheuses de l’Institut national du sport, de l’expertise et de la performance (Insep) ont lancé pour la première fois en France le projet « Empow’her » afin de comprendre les interactions entre cycle menstruel et conditions physiques des sportives.

Leur étude a permis de souligner que les règles n’altéraient pas la performance des athlètes tant que les symptômes et pathologies étaient médicalement traités, explique Carole Maître, gynécologue à l’Insep et vice-présidente de la commission médicale du comité olympique français.

Le HuffPost. Quelles sont les principales difficultés rencontrées par les 300 athlètes que vous suivez ?

Carole Maître. On me consulte principalement pour des perturbations du cycle menstruel. Par exemple, des femmes se plaignent de douleur avant, pendant, ou après les règles. C’est ce qu’on appelle la dysménorrhée. Et cette douleur de règle est souvent majorée à l’effort intensif, ce qui peut être bloquant pour suivre un entraînement. Dans ces cas-là, nous faisons un bilan pour établir les causes de cette douleur, et un traitement peut être nécessaire.

Autres problèmes rencontrés : la chute de la réserve de fer à cause de règles trop abondantes, ou la prise de poids prémenstruelle. Ces kilos supplémentaires peuvent générer des inquiétudes, particulièrement chez les femmes pratiquant des sports à catégorie de poids, comme le judo ou la boxe. Les sportives essaient alors de faire des régimes qui se soldent souvent par des échecs, car la prise de poids est souvent due à la rétention d’eau, ou un déséquilibre hormonal qui nécessite une prise en charge médicale.

« Le cycle menstruel n’est pas un frein à la performance, mais l’un des éléments, comme la nutrition ou le sommeil, qui peut influencer la condition physique. »

Les sportives peuvent-elles performer pendant leur période menstruelle ?

Les travaux scientifiques montrent que certaines femmes vivent très bien leurs cycles. Des sportives de haut niveau ont obtenu des médailles alors même qu’elles avaient leurs règles. Le cycle menstruel n’est pas un frein à la performance, mais l’un des éléments, comme la nutrition ou le sommeil, qui peut influencer la condition physique.

D’autres femmes sont en revanche plus sensibles lors des cinq premiers jours du cycle, cette période où le taux hormonal est au plus bas. Les œstrogènes ne sont en effet pas suffisamment présents pour jouer leur rôle de « booster » au niveau du métabolisme énergétique. Ce n’est pas la période la plus propice, par exemple, pour obtenir des résultats lors des entraînements de renforcement musculaire.

Nous sommes aussi vigilants au pourcentage de masse grasse des athlètes pratiquant des sports à catégorie de poids, d’endurance, ou encore ceux où l’esthétique est importante, comme la gymnastique ou la natation artistique. Dans ces disciplines, on note la survenue fréquente du syndrome du « RED-S », qui est un déficit énergétique relatif à une pratique intensive du sport. Concrètement, c’est lorsque l’alimentation n’est pas suffisante pour combler l’énergie dépensée lors de l’activité physique. Ce syndrome peut engendrer une perturbation du cycle menstruel, des fractures de fatigue, et une baisse des performances.

Enfin, il ne faut pas non plus négliger les symptômes prémenstruels, comme les troubles du sommeil, l’irritabilité, la perte de concentration, les douleurs au dos.

Et quid des athlètes qui n’ont plus leurs règles à cause du surentraînement ?

Quand les efforts deviennent trop longs et fatigants pour le corps les règles peuvent en effet s’arrêter. Dans les sports comme la course de longue distance, le cyclisme, la natation, la prévalence d’absence de règles est particulièrement importante. Les troubles des conduites alimentaires, comme l’anorexie, peuvent aussi entraîner l’aménorrhée.

« Nous écoutons les demandes de décalage des règles, car cela compte non seulement pour les résultats sportifs des athlètes, mais aussi pour leur santé mentale. »

Quand il y a moins de quatre fois les règles dans l’année, il y a un risque pour la santé. L’aménorrhée provoque de fait une baisse des œstrogènes. Or, ces hormones aident au renforcement musculaire, car elles permettent la synthèse les protéines, et soutiennent le stockage énergétique. L’absence de règle est donc corrélée à plus de fatigabilité et à une augmentation des fractures de fatigue.

Pour les femmes qui ont de vives douleurs, comment vont-elles faire pour concourir pendant les JO de Paris ?

Le décalage de règles est une demande fréquente en vue d’une compétition ou d’un évènement majeur dans une carrière comme les Jeux olympiques. Certaines sportives demandent même à ne pas avoir leurs règles une semaine avant une compétition pour ne pas être sujettes à une gêne, à une douleur, même modérée, ou à une appréhension. Il n’y a pas de risque pour la santé d’interrompre les règles sur une période courte, dans une durée limitée d’une semaine, ou de quinze jours.

Pour décaler les règles, il y a deux possibilités. Soit on est déjà sous contraceptif hormonal, comme une pilule, que l’on prend alors exceptionnellement en continu, sans faire la pause demandée. Soit on peut prolonger la dernière phase du cycle, la période progestative. Pour ce faire, au seizième jour du cycle, on administre une progestérone, sous ordonnance, par voie médicamenteuse.

Nous écoutons les demandes de décalage des règles, car cela compte non seulement pour les résultats sportifs des athlètes, mais aussi pour leur santé mentale.

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