Les JO de Paris 2024 ne sont "pas un prétexte pour ne pas respecter le code du travail", clame Bernard Thibault

Bernard Thibault, pourquoi avez-vous accepté de co-présider ce comité de suivi de la charte sociale de Paris 2024?

Je suis, avec d’autres, à l’initiative de cette démarche consistant à ce que des JO organisés en France se doivent de tenir compte de la dimension sociale de sa préparation et de son déroulement. Nous avons un standard social et il était impératif pour nous que des Jeux en France s’organisent dans le respect du droit social. Lorsqu’un comité a été créé pour mettre en œuvre cette charte sociale, avec des engagements sur les questions d’emploi, de formation, de conditions de travail, de sécurité des personnels et que les cinq confédérations m’ont proposé de les représenter, c’est assez naturellement que j’ai accepté cette tâche.

Quel est le rôle de ce comité?

On a un comité qui est composé des cinq confédérations syndicales représentatives du pays, des trois organisations patronales. Nous nous réunissons tous les mois pour aborder l’ensemble des sujets liés à la préparation des Jeux sur les aspects économiques, sociaux. On a suivi de très près l’organisation des chantiers. Un peu plus de 30.000 ouvriers ont travaillé sur ces chantiers. Nous avons eu des accidents, ce sont des accidents de trop mais beaucoup moins que ce que l’on a habituellement sur des chantiers du bâtiment en France. Concernant la lutte contre le travail illégal, on a pris des mesures aussi pour agir contre ce phénomène. Et nous participons avec Paris 2024 à définir une charte d’encadrement des volontaires.

Est-ce que vous vous sentez écouté?

S’agissant du gouvernement, c’est beaucoup plus délicat. Il a une attitude envers les syndicats qui laisse peu de place à la négociation. On a du mal à être écoutés par le gouvernement sur les mesures à prendre ou à ne pas prendre sur les Jeux olympiques. Sur le temps de travail, par exemple, on a eu des décisions qui étaient pourtant rejetées par les organisations syndicales. Ils ont tendance à considérer que leur légitimité politique les autorise à décider seuls de ce qui est bon pour le personnel. D’ailleurs, le Premier ministre va annoncer les nouvelles règles d’indemnisation du chômage le 1er juillet. Je ne suis pas sûr que le calendrier soit très favorable à entretenir la paix sociale dans le pays à trois semaines des Jeux olympiques.

Paris 2024 n’appuie pas vos revendications auprès de l’Etat?

Paris 2024, dans les décisions prises par le gouvernement, est un peu spectateur. Il organise le mieux possible les compétitions sportives mais pas au-delà des compétitions. Il y a aussi l’impact que représente l’organisation des Jeux notamment en région parisienne. On parle de télétravail, de ne pas surcharger les transports. On ne veut pas que les Jeux olympiques soient un prétexte pour ne pas respecter le code du travail.

Est-ce que les Jeux olympiques sont utilisés par les syndicats comme un moyen de pression pour faire passer des revendications?

Il faut bien accepter cette idée que d’un côté on demande des efforts à certains personnels. On demande donc à des personnels de renoncer à un congé familial, qui peut parfois créer des contraintes difficiles. C’est un effort particulier. Que ces salariés-là demandent une reconnaissance et une contrepartie, ce n’est pas du chantage. Aujourd’hui il y a encore beaucoup de secteurs dans lesquels on ne sait pas ce qui va être attendu du personnel. Pour certains d’entre eux qui commencent à 4h du matin, ils n’auront pas de transports, comment vont-ils faire?

Y-aura-t-il des grèves pendant les Jeux olympiques?

Toutes les organisations ont dit vouloir participer à la réussite des Jeux. Mais il est normal que les syndicats qui ont porté cette charte rappellent qu’ils veulent la réussite des Jeux en respectant les droits des salariés. Si les salariés ne sont pas écoutés, il peut y avoir des risques de tension. Mais l’objectif n’est pas la grève en soi, c’est de prendre en compte les revendications sociales pour que les Jeux se passent dans les meilleures conditions.

Un préavis a été déposé par la CGT dans les trois branches de la fonction publique pour la période du 15 avril au 15 septembre, le risque de grève pendant les Jeux plane tout de même…

Il y a un défaut de négociation avec les pouvoirs publics, le ministre n’a pas rencontré les organisations syndicales. On nous avait promis des négociations sur la fin de l’année 2023, elles n’ont pas eu lieu. Les semaines et les mois s’écoulent et il y a des services, comme les hôpitaux, qui s’inquiètent d’une absence de transparence sur les dispositifs d’effectifs dans les hôpitaux. Dans bon nombre de services de l'administration, il y a un défaut de négociation.

Votre objectif c’était d’éviter ce préavis?

Le préavis signifie que vous avez l’intention d’avoir recours à la grève. Mais il sert aussi à ouvrir les négociations. La meilleure réponse pour éviter la grève c’est de profiter de ce délai pour se mettre autour d’une table et examiner les questions qui posent problème. Dépôt de préavis ne veut pas dire recours à la grève. Mais oui je m’y attendais compte tenu du retard pris. Les salariés ont besoin de s’organiser pour cet été.

Un accord a été trouvé pour éviter une grève des éboueurs pendant les JO, à la RATP aussi le risque de grève serait écarté. Vous travaillez avec toutes les entreprises?

Les choses évoluent de semaine en semaine, il y a des négociations depuis plusieurs mois à la SNCF, c’est susceptible de conclure les prochains jours. Ça se fait entreprise par entreprise mais il y a aussi un employeur qui s’appelle l’Etat et s’agissant des fonctionnaires il y a plein de secteurs pour lesquels les choses ne sont pas réglées.

Vous avez rencontré les membres du gouvernement?

Nous attendons une réunion avec les ministres des Sports et du Travail notamment. On se rapproche de l’événement et il serait temps qu’on aborde les sujets concrets qui font l’objet de blocages secteurs par secteurs pour essayer de les lever et de faire en sorte que l’événement se déroule bien.

Quels sont les sujets sous tension?

On a des filières où on est en sous-effectif. Il y a des inquiétudes pour savoir si on aura les effectifs nécessaires dans la sécurité privée. Moi je considère qu’on ne les aura pas. On manque de bras dans la sécurité privée parce qu’on manque de bras, les salaires sont trop bas. Il nous faudrait 22.000 agents supplémentaires alors qu’il nous en manque déjà 20.000 au quotidien. On va faire appel à des gens inexpérimentés alors qu’on est sur un événement à risques. C’est un pari hasardeux. Je crains aussi que certains employeurs fassent appel à des travailleurs non déclarés, dans la restauration, la propreté, j’espère qu’il y aura une surveillance.

Vous croyez à la trêve olympique?

S’il y a des motifs de mécontentement… Les Français sont en droit de ne pas vouloir travailler 15 ou 16 heures au motif des Jeux olympiques. Il faut prévoir les effectifs suffisants. Après, par quelle voie peut-on exprimer ce mécontentement? On sera attentifs et mobilisés pour intervenir à chaque fois qu’on identifie une situation tendue pour essayer d’y remédier et éviter que ça soit préjudiciable à l’événement sportif.

Vous êtes confiant sur le bon déroulement de la période des Jeux?

Confiant mais exigeant. On s’est engagés pour la réussite. Ces grands événements ne sont pas incompatibles avec les droits des travailleurs. Ils doivent même promouvoir la justice sociale.

Article original publié sur RMC Sport