JO de Paris 2024 : Méline Rollin, recordwoman de France du marathon et mathématicienne, se bat pour sa place
JO DE PARIS 2024 - Après avoir longé des corons, ces habitations ouvrières du XIXe siècle typiques du Nord, dans le quartier d’Hellemmes, à Lille, voici l’appartement de Méline Rollin, dans une résidence standardisée. Avant même d’avoir passé la porte d’entrée, des paires de chaussures de courses s’entassent sur le paillasson : nous sommes bien chez la détentrice du record de France du marathon, établi en février, en 2h24’12’’.
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Ici, pas de photos géantes de ses plus belles victoires, mais des affiches de chats et des souvenirs de ses dernières vacances en amoureux. Tout est propre et rangé, à l’image de la rigueur qui caractérise l’athlète de 25 ans et son esprit matheux. Il vaut mieux pour celle qui est data analyst chez Décathlon et doit se ménager un quotidien chronométré.
Réveil aux aurores, petit-déjeuner composé de tartines au beurre de cacahuète, footing d’une heure, préparation de ses repas, parfois rendez-vous chez le kiné, départ pour le travail. Et après une journée à son bureau, un autre entraînement de presque deux heures à son club d’athlétisme. « Après je me pose quand même le soir pour regarder la télé », cherche-t-elle à nous rassurer.
Ascension exponentielle
Ce qui diffère entre cet appartement et le studio d’un jeune adulte lambda, c’est ce placard au fond du couloir. « Il y a mes paires de chaussures de courses et celles de mon copain, qui court sur 800 mètres. II y en a au moins 40, une vingtaine sont à moi, sans compter les pointes d’athlétisme », détaille-t-elle, avant de nous désigner les « Kiprun » avec une « plaque carbone » avec lesquelles elle a réussi son temps canon sur le marathon de Séville.
Et si elle parle plus naturellement de ses chats que de ses succès, la marathonienne ardennaise qui a commencé à courir à 9 ans, a bien des médailles. En lui demandant de nous les montrer, on s’attendait à la voir débarquer avec une grande boîte pleine de consécrations. Mais non, Méline Rollin n’a que trois médailles, car elle n’a couru que trois fois l’épreuve mythique dans sa vie. En décembre 2022, elle s’aligne sur son premier 42,195 km à Valence, et elle réalise déjà, en 2h30’27’’, le meilleur chrono français de l’année dans la discipline.
« En France, une telle densité de coureuses aux JO, c’est du jamais vu »
Sa progression est ensuite fulgurante : au marathon d’Amsterdam, à l’automne 2023, elle bat son record, en 2h26′55′’. Et enfin, à Séville, le 18 février dernier, elle pulvérise le précédent record national du marathon, qui était détenu depuis 2010 par Christelle Daunay. Ce chrono inédit lui permet aujourd’hui d’être la candidate la plus sérieuse pour obtenir la dernière place française qualificative pour les Jeux olympiques de Paris. « La médaille de Séville c’est ma préférée, parce que ma famille était là pour me soutenir. Par contre, niveau esthétique, je ne la trouve pas très belle », avoue-t-elle en riant.
Et pour l’heure, cette médaille est aussi un sésame pour les JO de Paris, si son record de France tient encore un peu. « En France, une telle densité de coureuses aux JO, c’est du jamais vu. Jusqu’ici on avait zéro ou une fille aux Jeux olympiques. Cette année, on est cinq à avoir réussi à atteindre les minima. Ça me pousse à faire mieux », commente l’athlète de la team Décathlon, ajoutant que trois jeunes femmes peuvent encore la « déloger » de la délégation tricolore : « Manon Trapp, Fadouwa Ledhem, et peut-être Clémence Calvin », toutes alignées sur des marathons réputés rapides d’ici à la fin de la période de sélection.
Une employée (presque) ordinaire
Méline Rollin n’a pas encore la tête aux médailles, mais bien vissée sur les épaules, et saisissant son sac thermos et son déjeuner, elle nous rappelle gentiment qu’il ne faudrait pas tarder à partir. Elle doit être à 11 heures à un live organisé sur le campus de Décathlon pour la présentation des tenues des bénévoles des JO.
Ni une, ni deux, la voilà au volant de sa Tesla. Durant le trajet, elle nous raconte qu’être une athlète de haut niveau est loin d’être un gage de notoriété. « Une fois, je courais dans un parc. Un journaliste de BFM Lille m’arrête pour un sujet sur les gens qui reprennent le footing aux beaux jours. Il n’avait absolument pas compris qu’il interrogeait la détentrice du record de France de marathon !, plaisante-t-elle. En même temps, moi, à part Kylian Mbappé, je connais aucun joueur de foot. »
Lorsqu’on traverse les interminables couloirs du Décathlon de Villeneuve-d’Ascq, l’un des plus grands d’Europe, personne ne vient en effet lui demander une photo ou un autographe, l’athlète est une employée comme les autres. Enfin presque. La marathonienne a tout de même des photos d’elle affichées un peu partout dans les rayons des chaussures de course, entre les t-shirts ornés des anneaux olympiques et les peluches phryges, la mascotte des Jeux. La classe.
Quatre marathons par semaine
Cette double casquette de marathonienne et de mathématicienne est essentielle pour la sportive. « C’est une sécurité d’avoir mon travail. Financièrement, ça me permet d’être plus sereine, libre, de ne pas me dire “Si je ne performe pas, je ne vais plus avoir d’argent” », explique-t-elle. Jusqu’à l’année dernière, Méline Rollin travaillait aux 35 heures, mais le volume d’entraînement s’intensifiant, elle courait après le temps. Décathlon lui a donc proposé « une convention de mécénat » : l’entreprise lui libère 60 % de temps qu’elle doit consacrer à son club d’athlétisme. « C’est comme un don défiscalisé pour eux, donc c’est arrangeant » pour les deux parties.
« Les performances masculines sont davantage mises en avant »
Celle qui court jusqu’à 180 kilomètres par semaine, soit l’équivalent de quatre marathons et demi, sans compter les trois séances de musculation hebdomadaires, est reconnaissante pour cette confiance. En tant que jeune mathématicienne, un métier où elle est « entourée d’hommes », elle ne s’est jamais mis de frein. Pareil dans le sport. « Là, où je sens une petite différence avec les hommes, c’est au niveau du traitement médiatique avec des performances masculines qui sont davantage mises en avant », souligne-t-elle avec un petit sourire en coin qui nous est destiné.
Séance infernale pour un coureur du dimanche
Encore une fois, Méline Rollin regarde sa montre. Il est 13 h 30, elle doit filer manger, une viande blanche avec des légumes, avant de se plonger dans des feuilles de calculs jusqu’à 17 h 30. Elle ne nous rejoindra qu’à 18 h 30 pour son entraînement, au club d’athlétisme Geneviève Lemaire, à Villeneuve-d’Ascq.
Sur le stade, il fait nuit, la pluie fine n’est entrecoupée que de grosses averses. Méline Rollin, elle, est métamorphosée. Non seulement a-t-elle troqué son chemisier et son jean pour un short et un coupe-vent de course blancs, mais surtout, sa manière d’être a changé. Toujours aussi souriante, avenante, elle est bien plus concentrée, déterminée. Sur la piste rouge, l’étincelle dans le regard, elle ne rigole plus. Et pour cause, la pression de la réussite est importante avant une séance de fractionné qui s’annonce intense : un 3 000 m, un 2 000 m, un 1 000 m d’affilée, et à fond. Un enfer pour tout coureur du dimanche.
Courir aussi vite et longtemps est forcément dur, mais ses longues jambes avalent les kilomètres avec une facilité déconcertante. Comme une danseuse étoile, ses bras cadencent sa foulée, son buste se penche en avant à mesure qu’elle accélère, son visage reste impassible, son souffle régulier. La chorégraphie de la course est si fluide qu’on en oublie le temps maussade, c’est un si beau spectacle qu’on aimerait voir Méline Rollin briller aux Jeux olympiques le 11 août prochain.
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