Les Jeux paralympiques avec les Bleus, l'ambiance autour de Paris 2024: entretien avec Yannick Noah

A l'occasion de la fin du stage de tennis en fauteuil au Centre National d'Entraînement (CNE) de Boulogne, Yannick Noah s'est exprimé au micro de RMC Sport pour la première fois depuis son arrivée comme capitaine de l'équipe de France masculine de tennis en fauteuil, qu'il emmènera aux Jeux paralympiques de Paris 2024.

Yannick Noah, parlez-nous de votre adaptation à votre nouveau rôle...

Il y a plusieurs aspects, la première chose c’est que moi, je me suis imprégné, j’ai appris la spécificité du tennis en fauteuil, l’aspect technique, tactique, le matériel et puis de l’autre côté apprendre à se connaître parce qu’il y’a bien sûr l’entraînement mais aussi la motivation, chaque joueur est différent, chacun a son parcours, chacun est arrivé au tennis fauteuil différemment et voilà il y’a pleins d’autres choses comme ça. La meilleure façon d’avancer c’est d’apprendre à se connaître et personnellement je me suis vraiment régalé, on est à Roland Garros, à la maison, il y’a une très bonne atmosphère, on a bien travaillé. Le stage permet de relancer les joueurs, les énergies. Certains sont partis en tournoi, d’autres partent demain donc ce sont des joueurs qui sont semi-pros voire professionnels

Avez-vous testé un fauteuil sur le court?

J’avais testé il y’a longtemps déjà, il y’a plus de 40 ans, c’est vraiment compliqué, c’est très dur parce que pour le tennis en fauteuil bien sûr il y’a le coup de raquette, ça on le maitrise mais c’est surtout le mouvement mais apprendre à bouger, anticiper les rebonds, c’est très compliqué. Jean-Philippe Fleurian, responsable du côté tennis en fauteuil à la fédération depuis quelques années, a mis au point un siège où nous valides, on peut jouer. C’est vrai que c’est un jeu différent, on est beaucoup plus bas, les angles sont différents mais ça permet aussi de pouvoir jouer contre eux, d’abord pour ressentir le jeu mais aussi parfois faire venir des joueurs valides de très haut niveau pour qu’ils rencontrent d’autres jeux, d’autres techniques, d’autres joueurs en face. Gilles (Moretton) a mis une belle énergie ici, les gars sont-là au milieu des joueurs valides. Il y’a le jeune Cazaux qui passe, il y’a Ugo Humbert qui est arrivé hier. Il y’a une bonne énergie, c’est bien de pouvoir se mélanger avec les jeunes et les joueurs valides, pour moi c’était très instructif et très positif.

Avez-vous le sentiment d'avoir comblé un manque, vous qui n’avez jamais participé aux Jeux?

A mon époque les Jeux Olympiques, c’était pour les amateurs et le tennis à mon époque a été proposé comme grosse exhibition. Le joueur que j’étais à l’époque et la personne que je suis aujourd’hui trouvent qu’une qualification pour les Jeux Olympiques, c’est l’histoire d’une vie et ça me dérangeait de venir prendre la lumière à ses gens qui avaient tous les quatre ans la possibilité de se faire remarquer et performer. Ça me gênait d’aller prendre la lumière entre Wimbledon, l’US Open et la Coupe Davis. C’était mon état d’esprit du moment et aujourd’hui je pense que j’aurai fait différemment parce que maintenant beaucoup d’athlètes sont professionnels aux Jeux Olympiques donc ça a plus de sens qu’à l’époque. Je suis fan des jeux, j’y suis allé en tant que spectateur à Barcelone (en 1992), à Atlanta (en 1996) et j’ai aussi suivi devant ma télé, j’adore les jeux c’est bourré d’émotions.

Sachant que les jeux sont à Paris, c’est une énorme motivation pour mon équipe et moi, ça donne une envie, ça stimule et bien sûr c’est une étape mais après ça va continuer. Je suis très content de participer avec cette équipe-là.

Pourquoi avoir accepté?

Je n’ai jamais fait ça, j’ai jamais gagné avec cette équipe, je n’ai jamais coaché de tennis en fauteuil comme au début je n’avais jamais coaché de filles. C’est une belle aventure, ce qui me plaît c’est notre camaraderie, notre amitié. Ce sont des souvenirs, des liens qui se tissent, c’est l’aventure humaine qui compte par-dessus tout. C’est vrai que Stéphane Houdet m’a proposé ça il y’a quelques années, c’était un peu tôt parce que je n’avais pas le temps de me préparer, les jeux arrivaient très très vite, pour les accréditations c’était un peu court. Il m’a relancé en me disant "T’as fait ci, t’as fait ça, on est des dingues, tu ne viendrais pas ?", quand j’ai fini de lire son texto ça me paraissait tellement évident et excitant, c’est quelque chose qui me plaît.

Pour vous, c’est quoi: un défi, une aventure humaine?

C’est une aventure humaine, je suis dans le tennis, je suis chez moi, on est au CNE (Centre National d’Entraînement), je suis chez moi, j’ai appris à connaître des joueurs que je connais bien maintenant et puis on bosse tous les jours afin de progresser à chaque entraînement. On est à une centaine de jours des premiers matchs donc c’est très stimulant d’avoir cet objectif, d’avoir les jeux, de jouer devant les potes, pour son pays, de jouer en France, devant sa famille, son public. C’est unique et vivre ça auprès d’eux ça va être très très fort comme aventure humaine et après ça continue. En tout cas c’est une étape qui est très importante, après bien sûr que quand on joue un match on compte les points, on essaie de le gagner forcément mais par-dessus tout il faut bosser et s’améliorer.

On vous a entendu pousser un coup de gueule sur les JO, ça vous agace ce climat?

Je ne sais pas, je pense que ce n’est pas un coup de gueule, c’est un sentiment qui est partagé par beaucoup. Je pense que c’est un peu à la mode de critiquer alors que mon véritable sentiment c’est que c’est une chance énorme pour tous les athlètes français qui vont participer et tous les gens qui bossent autour des jeux, qu’on ne voit pas, pour lesquels il y’a une vraie motivation. Je trouve que c’est très beau, c’est mon sentiment, c’est peut-être l’artiste que je suis qui voit ce qui est joli. Je ne vais pas chercher la petite bête, oui il y’a des travaux mais il faut les faire parce que le monde entier va venir à Paris. Il faut qu’on s’adapte mais c’est normal c’est partout pareil dès qu’il y’a des Jeux Olympiques. C’est plutôt une fierté pour moi parce que Paris va être mis en lumière, ça va être très beau, très joli, rien qu’au niveau des images qu’il va y’avoir. Encore une fois, il y’a des athlètes qui vont participer, des gamins et des familles qui vont regarder ça à Paris parce qu’ils ont la possibilité de le faire en France et c’est merveilleux. Quand des gens n’ont pas cette vision-là, je ne suis pas d’accord mais ce n’est pas un coup de gueule, ils ne me feront pas changer d’avis.

Votre statut peut-il jouer face aux adversaires ?

Je ne sais pas, je suis plus dans le présent, je ne me projette pas, je ne me rends pas compte. On va aller à Antalya début Mai pour les championnats du monde. Ce sera la première fois que je vais me retrouver physiquement face à nos adversaires car je ne les vois qu’en vidéo pour l’instant. Je vais rencontrer les gens, les autres entraîneurs, je vais rentrer dans le bain, être assis auprès des joueurs au changement de côté pour savoir comment ils réagissent. Sincèrement je suis dans l’action, il y’a quelques jours j’ai découvert plusieurs choses donc je ne me projette pas à ce niveau là puis on verra. De toute façon, on prendra tout ce qui peut aider les joueurs, mon équipe, pour essayer de les protéger et de les faire performer. J’espère porter un éclairage sur le sport en fauteuil car il y’a beaucoup de personnes handicapées en France et très peu font du sport.

Je suis persuadé que le fait qu’ils voient que d’autres personnes peuvent s’intéresser au tennis et au sport en fauteuil, ça peut motiver des mômes. Que ce soit en valide ou en fauteuil, le sport est une magnifique thérapie.

Ces joueurs, malgré leur handicap, vous donne une leçon de vie...

Carrément, si on parle de courage, on l’a devant les yeux tous les jours. Ce sont des gens qui ont vécu des choses très difficiles physiquement et moralement. Ils ont des gros bouleversements dans leur façon de voir la vie, d’être vu par la société. Tout d’un coup, on se retrouve sur un court et on a ce lien, on travaille, on rate une balle, on trouve une solution technique, on progresse et tout d’un coup le cœur bat différemment, un lien se tisse. A la fin, je sais que ce sont des personnes, des aventures qui doivent être connues parce que ça donne du courage.

Est-ce que vous arrivez à oublier le fauteuil?

Oui complètement, le fauteuil on l’oublie très très vite parce qu’après on échange avec des mecs qui sont intelligents, drôles, qui déconnent, qui flippent, comme quand je travaillais en Fed Cup ou en Coupe Davis, c’est exactement pareil. Après, on passe des moments ensemble hors du court, le soir on va au restaurant ensemble, on apprend à se connaître et là le handicap est complètement oublié. On essaie de casser ce mur Yannick Noah, je suis leur vieux pote, je raconte des conneries puis c’est bien de se marrer aussi parce que c’est important de travailler dans la joie et la bonne humeur.

Avez-vous un objectif de médailles pour les JO ?

On n’est pas dans les meilleures nations de tennis fauteuil, on a Stéphane (Houdet) qui est très bon en simple et en double. L’idée c’est qu’on a du temps, on a une vraie marge de progression et c’est ce qui compte par-dessus tout. En parlant avec les uns et les autres, par rapport à ce qui a été mis en place ici, il y’a un objectif à moyen et long terme. Il y’a deux ans, rien n’existait pour ces joueurs-là, maintenant il y’a des bourses, des sponsors, des gens qui s’intéressent à eux, d’autres qui les aident. Il y’a aussi ce lieu qui est parfait pour eux (le CNE de Boulogne) parce qu’il y’a tout, les cours mis à disposition, le matériel, la salle de gym, les soins, tout est sur place. Une fois qu’on a ça à la fédé, l’objectif est que ce soit bien perçu et mis en avant dans les clubs, qu’il y’ait de plus en plus de gamins qui jouent et ça c’est le vrai projet.

Il y’a effectivement les jeux, on va faire le maximum, on n’est pas dans les meilleurs au classement mais on va essayer, ça doit être quelque chose de monter sur le podium, ce serait bien.

Redoutez-vous votre baptême du feu lors des championnats du monde début mai en Turquie?

Je ne l’appréhende pas mais je vais être concentré oui. Je vais me préparer. Je pense qu’il faut être optimiste pour performer, il faut aller de l’avant au niveau du jeu mais aussi au niveau de l’état d’esprit. Mon discours sera différent d’il y’a 30 ans puisque j’ai évolué, j’ai appris des choses et il m’en reste encore à apprendre notamment en ce qui concerne le tennis fauteuil. Tu parles à un groupe mais le groupe est fait d’individualités, il y’a le simple, le double, il y’a les remplaçants et tous les joueurs s’approchent finalement. Chacun a son parcours et avec le temps j’ai de l’expérience à ce niveau-là. Je n’ai pas de pression, on est chez nous, on a fait des préparations ici pour la Coupe Davis. La dernière fois que j’ai fait une vraie préparation, on se préparait pour l’Espagne en demi-finale de la Coupe Davis il y’a quelques années puis je pars dans ma vie, je reviens et j’ai l’impression que c’était avant-hier. Je monte dans les bureaux je connais tout le monde enfin je suis à la maison donc aucune pression.

Votre présence amène un coup de projecteur sur les Jeux paralympiques et le tennis en particulier: ça vous agace un peu?

Non, ça ne m’agace pas du tout, ça fait partie du projet. Ce qui est important c’est de les écouter, je suis un passeur de relais. Il faut écouter leurs histoires, apprendre à les connaître, il y’a des gamins qui vont regarder les interviews et ça peut leur donner envie. Le problème c’est que le handicap est méconnu et les gens ont des jugements préconçus négatifs parfois. Par ignorance, les gens ne savent pas ce que ces personnes ont vécu. Il y’a quelques temps, j’étais à Charléty pour les championnats du monde de para athlétisme, j’ai fait le concert d’ouverture et je suis resté scotché deux jours parce que l’émotion est la même, les performances sont incroyables. Je suis honoré d’être là, j’ai beaucoup de chance d’avoir cette place, j’ai le sentiment de pouvoir être utile et je suis vraiment serein.

Article original publié sur RMC Sport