"La Jeune femme et la mer", une BD de Catherine Meurisse pour renouer avec la nature

Détail d'une case de la BD
Détail d'une case de la BD

Catherine Meurisse, ancienne dessinatrice de Charlie Hebdo qui a marqué les esprits ces dernières années avec deux récits autobiographiques, l'un sur l’attentat du 7-Janvier (La Légèreté), l’autre sur son enfance (Les Grands Espaces), a sorti cet automne La Jeune femme et la mer, un nouvel album en apparence plus léger, consacré à sa découverte de la culture japonaise.

En apparence seulement, car dans la lignée des précédents ouvrages de cette dessinatrice élue à l'Académie des beaux-arts en janvier 2020, La Jeune femme et la mer est une nouvelle étape dans sa quête de légèreté après le traumatisme du 7-Janvier 2015. "Cette quête est inconsciente", précise l'autrice, qui s’est envolée pour le Japon "pour renouveler [sa] banque d’images mentales" et "ne pas se retrouver seule".

"Après l’attentat contre Charlie, j’ai eu une conscience très accrue de la solitude humaine. Je crois que maintenant j’assume plus cette pensée qui traverse tous mes livres." Elle a retrouvé cette solitude au Japon: "Je voulais être seule pour pouvoir ressentir le mieux possible ce qui m’entourait, pour emmagasiner le mieux possible les images, les sons, les odeurs."

La dessinatrice a depuis toujours une appétence pour les histoires où les personnages, confrontés à des catastrophes en tout genre, apprennent à aller mieux en se confrontant à la beauté du monde. "Je me suis rendue compte que La Légèreté montrait comment dessiner et peindre après la catastrophe et que La Jeune femme et la mer portait sur l’acte de dessiner et de peindre avant la catastrophe. C’est une boucle."

"On a perdu le sens de la nature"

Au Japon, la catastrophe s’est manifestée sous la forme du typhon Hagibis, "supertyphon" comme il en existe une fois par siècle. "Je n’ai pas subi la catastrophe, mais j’ai quand même senti la puissance du vent. J’ai vu la mer démontée. J’ai vu le ciel changé. J’ai vu les bateaux arrêtés. Tout le pays était à l’arrêt. Mes amis japonais étaient extrêmement calmes, probablement résignés. Le Japon subit de plus en plus de cataclysmes, notamment à cause de l’activité de l’homme."

Souvent sujet aux catastrophes naturelles, le Japon est aussi "la métaphore idéale pour parler de notre rapport à la nature", estime Catherine Meurisse. C’est vraiment un pays où sont concentrées les épreuves que la nature nous fait endurer." La Jeune femme et la mer est un éloge de la décroissance, pour cesser de "considérer la nature comme un objet et entrer en relation avec elle".

"Les remèdes que trouve l’humain pour se sauver des catastrophes naturelles nous coupent de la nature et la situation empire. On a perdu le sens de la nature", insiste-t-elle. "On s’est coupé de la nature depuis trop longtemps. On voit les conséquences aujourd’hui et c’est catastrophique. On ne sait plus observer la nature, on domine les autres espèces."

Dans l’album, son personnage ne dessine pas, mais observe et recherche le bon moment pour dessiner. "Quand on est au contact de la nature, on assiste à sa puissance créatrice. Ce renouvellement nous donne l’illusion qu’on est immortel et en même temps il donne conscience de notre finitude. Ce paradoxe est absolument vital et très reposant."

Retrouver l’esprit "Charlie Hebdo"

Surexposée médiatiquement dans les mois suivant l’attentat du 7-Janvier, Catherine Meurisse s’était réapproprié son image en devenant l’héroïne de deux albums autobiographiques. Avec La Jeune femme et la mer, elle se détache pour la première fois de ce double fictionnel. "Elle a encore une frange alors que j’ai coupé la mienne l’année dernière", s’amuse-t-elle. "Plus sérieusement, c'est très reposant. Ça me fait du bien de me détacher de mon personnage de La Légèreté et des Grands Espaces."

Paradoxalement, c’est dans La Jeune femme et la mer qu’elle renoue avec l’esprit de Charlie Hebdo et l'art de la caricature. On retrouve dans son dessin la légèreté qu’avaient ses premiers travaux publiés dans le journal satiriste. "Le point commun, c’est l’outil. Dans Les Grands espaces, j’utilisais un crayon de papier, qui adoucit le trait. Là, j’ai repris la plume que j’avais utilisée dans mes premiers albums. La plume va vite, elle va plus vers la caricature."

Lors de ses pérégrinations japonaises, Catherine Meurisse croise des statues de pénis géantes, symboles de fertilité et la caricaturiste de Charlie Hebdo prend le dessus sur l'autrice de La Légèreté: "J’ai éclaté de rire en voyant ça. C’est tellement merveilleux. Les gens viennent s’y frotter pour que leurs vœux se réalisent. Le gag était tout trouvé."

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Un trait d’humour qui caractérise à merveille cette autrice dont l’œuvre mêle réflexion sur l’Art et humour potache et qui selon son ami le dessinateur Blutch a "l’audace des grands timides". "Je mets du temps à réfléchir, à avoir un avis", confirme-t-elle. "C'était déjà ça à Charlie à la conférence de rédaction. Je ne parlais jamais parce que ce n’était pas prêt dans ma tête et puis quinze jours plus tard je l’avais et je sortais une énormité un petit peu en décalé. Et le décalage, c’est drôle."

Décalage que l’on retrouve aussi dans son dessin, entre décors réalistes et personnages caricaturés, dans la lignée des mangakas Yoshiharu Tsuge et Shigeru Mizuki (honoré au festival d’Angoulême en janvier 2022). Sortie épuisée de cet album, magnifié par les couleurs d'Isabelle Merlet, inspirées des estampes du Japonais Hiroshige, elle aspire au repos. Elle ignore sur quoi portera son prochain album. "Pour le moment, je suis en recherche de vide. Je suis un peu rincée par l’album, je n’ai plus rien en tête."

La Jeune femme et la mer, Catherine Meurisse, Dargaud, 116 pages, 22,50 euros.

Article original publié sur BFMTV.com