"J'avais peur de tout": Sophie Parra, blessée au Bataclan, raconte sa reconstruction en BD
Sept ans après l'attentat du Bataclan, Sophie Parra, qui a été blessée à deux reprises à la jambe par les tirs des terroristes, raconte l'histoire de sa reconstruction dans Après le 13 novembre. Une bande dessinée émouvante écrite par Davy Mourier et dessinée par Gery, qui évoque avec colère le sort réservé aux victimes, laissées pour compte par la société et le gouvernement dans les mois et les années qui ont suivi.
Depuis sept ans, Sophie Parra souhaitait raconter son histoire, déçue par le traitement du sujet dans les médias: "Tous les ans, aux alentours du 13 novembre, j'étais sollicitée par les médias et à chaque fois qu'on m'appelait, les mêmes questions revenaient: où est-ce que vous étiez? Qu'est-ce qui vous est arrivé ce jour-là? On parlait que du 13-Novembre. On ne me demandait jamais comment ça se passait après."
Pour raconter le "truc délirant" qu'elle vivait, elle s'est lancée récemment, "maintenant [qu'elle a] assez de recul sur la situation": "Je voulais expliquer aux gens la vie d'une victime, parce que je me suis pris pas mal de commentaires sur les réseaux sociaux, comme 'ça fait longtemps, vous êtes vivante', 'il faut penser à autre chose'. J'ai commencé à lister un peu tout ce que j'avais vécu."
"Pas traumatiser les lecteurs"
Cette admiratrice de Pénélope Bagieu et de Riad Sattouf a été séduite par le style "super doux, très mignon" de Gery, qui "fait mieux passer la pilule" d'un récit particulièrement éprouvant: "Je ne voulais pas que ça dégouline de sang. Le but était de pouvoir m'adresser au plus grand nombre, pas de traumatiser les lecteurs."
Le décalage entre la simplicité du style et la violence du propos renforce aussi l'émotion de son récit. Une émotion qui étreint particulièrement le lecteur lorsque Sophie Parra évoque le souvenir d'un jeune homme avec qui elle a échangé des regards avant qu'il ne soit abattu par un des terroristes.
Dans cette séquence au Bataclan, les personnages n'ont souvent pas d'yeux. "Je le voyais sans vouloir le voir", confie-t-elle à propos de ce jeune homme. "Le but, c'était aussi que le Bataclan reste abstrait, parce qu'en fin de compte, ce qui s'est passé, ce n'est pas le plus important de la BD", insiste-t-elle.
Même les deux coups de feu qui ont blessé Sophie Parra ont été représentés de la manière la moins réaliste possible, avec un "Pan! Pan!" très cartoonesque. "Ça fait plus un bruit de pétard", reconnaît-elle, "mais c'était plus facile pour faire comprendre que j'avais pris deux balles que les 'tac tac' des kalachnikovs, qui paraissaient plus réalistes."
"Une année en apnée dans le Bataclan"
Dans ces séquences, le Bataclan semble gigantesque. "C'est un peu ce que j'ai ressenti. Quand j'étais à terre, tout me paraissait immense. Le Bataclan n'est pas aussi grand que Bercy, mais de ce que je voyais, je me sentais vraiment petite par rapport aux lieux. Gery a vraiment bien réussi à retranscrire cette sensation."
C'est aussi le thème de l'album: la solitude de la survivante face au silence pesant des institutions. "Le jour où je suis sortie de l'hôpital, on m'avait déjà oubliée. C'était un peu, 'Prenez votre envol petit oiseau, on ne va pas vous aider'." Son quotidien est alors un cauchemar éveillé: "J'avais peur de tout. Il y avait un coup de vent, j'étais en larmes."
L'élaboration de la bande dessinée s'est déroulée en parallèle du procès des attentats. "C'était un peu une année en apnée dans le Bataclan." Chaque jour, elle reçoit des planches. Elle est impressionnée et émue en les découvant. L'effet est vertigineux: "Je revivais certaines situations, je rigolais, je pleurais."
Sophie Parra reçoit la version définitive de la BD, quelques jours après le verdict du procès. Une période difficile: "Ça a été deux grosses fins d'un coup, un peu comme un coup de massue." Et en même temps, elle considère ce livre de 120 pages comme son "autre bébé": "C'était à la fois super satisfaisant et très douloureux."
"Profiter d'avoir une vie un peu calme"
Depuis la sortie de la BD en octobre, Sophie Parra a reçu de nombreuses réactions positives sur les réseaux sociaux. Mais le syndrome de l'imposteur la pourchasse: "Je suis très fière et en même temps je me dis que je ne mérite pas ça. J'ai juste raconté mon histoire. Je n'ai pas fait grand-chose."
Avec la fin du procès et la sortie de la BD, la suite, "c'est continuer à vivre et à profiter d'avoir une vie un peu calme", se réjouit-elle. Elle essaye de "se reconstruire" en continuant "à faire des choses qui sont compliquées, comme aller au cinéma". Elle fait ainsi "très attention" à ce qu'elle regarde. "Le dernier film que j'ai vu, c'était Le Dernier duel et c'était très bien. Il n'y avait pas d'arme à feu."
La sortie en deux mois de trois fictions inspirées du 13-Novembre (Revoir Paris, Novembre, Vous n'aurez pas ma haine) n'a pas été facile. "Oui, j'ai été gâtée", s'amuse-t-elle. "Mais ce ne sont pas des films que j'ai envie de voir. Je sais ce qui s'est passé. Je l'ai vécu. Le procès m'a permis d'en savoir encore plus sur l'enquête. Et je n'ai pas forcément besoin d'avoir Jean Dujardin en super-héros."
La lecture de la BD est "beaucoup plus facile" pour elle. "J'ai beaucoup moins de mal à rentrer dans une BD que dans un livre sans image." Elle a aussi prévu de raconter un jour son histoire à sa fille, et de lui lire sa BD: "Elle est très curieuse. Elle reconnaît la couverture. Ça fait quelque chose. Je sais qu'à un moment donné, il faudra que je la relise pour elle. C'est mon 2e bébé, cette BD, je vais finir par y revenir."
Après le 13 novembre, Sophie Parra, Davy Mourier (scénario), Gery (dessin), Delcourt, 120 pages, 15,95 euros.