Le Japon va déverser l’eau de la centrale de Fukushima dans la mer ce jeudi, faut-il s’en inquiéter ?

INTERNATIONAL - C’est officiel, le rejet en mer controversé de l’eau de la centrale nucléaire accidentée de Fukushima doit commencer, ce jeudi 24 août. Une annonce du Premier ministre japonais, Fumio Kishida, qui a aussitôt déclenché des restrictions à l’importation de denrées japonaises par Hong Kong, après la Chine.

Ce projet a été validé début juillet par l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) et Tokyo assure qu’il sera sans danger pour l’environnement et la santé humaine. Mais l’opération, qui doit durer des décennies, suscite aussi de vives inquiétudes et critiques, notamment en Chine ou en Corée, comme vous pouvez le voir dans notre vidéo en tête d’article.

Comment décontaminer l’eau ?

Douze ans après l’accident nucléaire le plus grave depuis celui de Tchernobyl, plus d’1,3 million de tonnes d’eau ont été utilisées pour refroidir les coeurs des réacteurs endommagés, puis ont ont été stockées dans des citernes près du site de la centrale. Or, les capacités de stockage atteignent leur limite. C’est pour cette raison que le gouvernement japonais va rejeter cette eau dans l’océan Pacifique après l’avoir décontaminée. Un processus qui doit durer 30 à 40 ans, le temps nécessaire pour démanteler la centrale.

Ces tonnes d’eau doivent être traitées grâce à une technique appelée le système avancé de traitement des liquides (ALPS).

Schéma du système avancé de traitement des liquides (ALPS)
Schéma du système avancé de traitement des liquides (ALPS)

Mais il reste un élément qu’il est très difficile d’éliminer : le tritium« C’est un élément très particulier parce que c’est l’isotope radioactif de l’hydrogène. L’eau étant composée d’hydrogène et d’oxygène, le tritium est donc très difficile à séparer puisqu’il est constitutif de la molécule d’eau », détaille Jean-Christophe Gariel, directeur général adjoint à l’Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire (IRSN) et contacté par Le HuffPost.

L’Organisation mondiale de la Santé préconise une valeur guide de 10.000 Bq/L (Becquerel par litre) pour le tritium dans l’eau de boisson. Tepco, l’exploitant de la centrale de Fukushima,  prévoit de rejeter de l’eau avec moins de 1500 Bq/L de tritium.

Des inquiétudes au Japon...

Le Japon affirme par conséquent que cette opération ne présente aucune menace pour l’environnement marin et la santé humaine. L’AIEA, qui contrôle le projet, est du même avis et a donné son feu vert le 4 juillet.

L’opération commencera ce jeudi « si les conditions météo le permettent », explique le Premier ministre japonais. Du personnel de l’AIEA travaille sur place pour s’assurer que le projet « reste conforme aux normes de sécurité », et mettra aussi à disposition de la communauté internationale des données de suivi « en temps réel et quasi-réel », a précisé mardi l’agence dans un communiqué. Tepco et l’agence japonaise de la pêche mettront aussi des données de contrôle en ligne.

« Le gouvernement japonais a opté pour une fausse solution - des décennies de pollution radioactive délibérée dans l’environnement marin - à un moment où les océans du monde sont déjà sous haute tension », a dénoncé mardi Greenpeace dans un communiqué.

L’industrie japonaise de la pêche redoute quant à elle des conséquences néfastes pour l’image de ses produits, auprès des consommateurs nippons comme à l’étranger. « Nous sommes toujours opposés au rejet de l’eau » car « la sécurité scientifique n’équivaut pas nécessairement à un sentiment de sécurité dans la société », a déclaré lundi le représentant de l’industrie de la pêche nippone Masanobu Sakamoto à l’issue d’une rencontre avec le Premier ministre.

La Chine restreint les produits du Japon

Pékin a interdit dès le mois dernier les importations de produits alimentaires de dix départements japonais, dont celui de Fukushima, et procède à des tests de radiations sur les denrées provenant du reste du pays. Et Hong Kong va appliquer « immédiatement » des restrictions sur des denrées provenant du Japon, a annoncé mardi John Lee, le chef de l’exécutif du territoire.

Le Japon va demander la fin des restrictions commerciales chinoises en mettant en avant des « preuves scientifiques », a assuré mardi Fumio Kishida. Il a aussi promis des mesures pour soutenir la filière japonaise de la pêche en encourageant sa production et la consommation intérieure de ses produits, ainsi qu’en ouvrant de nouveaux marchés à l’export. Un fonds de 30 milliards de yens (190 millions d’euros) est aussi prévu pour faire face au risque d’une perte d’image.

Les craintes de la Chine sont peut-être sincères, mais son ton véhément s’explique probablement aussi par les tensions géopolitiques et économiques entre Pékin et Tokyo, selon James Brady, analyste du cabinet d’études Teneo.

Pékin peut ainsi « exploiter » la problématique de l’eau de Fukushima en essayant d’« exacerber » les divisions internes au Japon sur le sujet, exercer une « certaine pression » sur le commerce extérieur nippon et tenter de perturber le récent réchauffement des liens entre Tokyo et Séoul, estime James Brady, interrogé par l’AFP.

Séoul n’a pas formulé d’objection au projet japonais, même si la population sud-coréenne s’inquiète également. Un sondage de l’institut Gallup réalisé en juin révélait que près de 80 % des Sud-coréens redoutaient une éventuelle contamination de l’eau de l’océan et des fruits de mer dûe au rejet de Fukushima.

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