Japon : une pilule abortive autorisée pour la première fois dans le pays, sous conditions

Jusqu'à vendredi, seuls les avortements chirurgicaux étaient possibles au Japon. L'accès à la méthode médicamenteuse reste toutefois soumise à plusieurs conditions, dont l'autorisation du mari de la femme enceinte.

C'est une petite révolution dans un archipel très conservateur sur les questions liées aux droits des femmes: le Japon a pour la première fois autorisé la mise sur le marché d'une pilule permettant d'interrompre une grossesse, après plusieurs années de mobilisation des spécialistes de santé et des mouvements féministes. Cette pilule pourra être utilisée jusqu'à neuf semaines de grossesse.

La décision d'autoriser le dispositif médicamenteux "MeFeego", commercialisé par le laboratoire britannique Linepharma, a été prise vendredi par le conseil pharmaceutique du ministère de la Santé japonais, rapporte le média américain CNN. Elle devrait être validée sous peu par le gouvernement. Cette mise sur le marché intervient après le vote d'une autorisation de principe des pilules abortives par le Parlement japonais en juin 2022.

Le long chemin vers la pilule abortive au Japon

Jusqu'ici, seuls les avortements réalisés par voie chirurgicale étaient possibles dans le pays, à l'exception des dispositifs d'urgence, surnommés "pilules du lendemain", autorisés depuis 2011. Il arrive aussi que certains médecins prescrivent des pilules abortives commandées à l'étranger.

En dehors de ces exceptions, les interruptions volontaires de grossesse au Japon sont pratiquées sous deux formes: la méthode dite "d'évacuation", qui consiste à aspirer les tissus utérins avec un petit tube, et le curetage, qui prévoit de retirer ces tissus utérins de façon manuelle à l'aide d'un instrument qui gratte l'endomètre, la partie interne de l'utérus.

L'Organisation mondiale de la santé (OMS) juge aujourd'hui la méthode du curetage "obsolète" car plus douloureuse et dangereuse. Elle recommande de la remplacer par la méthode d'évacuation ou la méthode médicamenteuse.

Le ministère de la Santé japonais a autorisé la commercialisation de la pilule abortive à base de molécule mifeprisotone (recommandé par l'Organisation mondiale de la Santé) plusieurs décennies après sa mise au point en 1982 et sa première légalisation en France et en Chine en 1988. Suivront le Royaume-Uni en 1991, la Suède en 1992 puis 90 autres pays depuis 1999. En attendant la validation définitive de l'autorisation au Japon, l'Argentine est à ce jour le dernier pays à avoir légalisé cette solution médicamenteuse, en mars 2023.

Aux États-Unis, la Cour suprême a décidé samedi de maintenir temporairement l'autorisation de la commercalisation des pilules abortives. Mais la bataille n'est pas définitivement gagné pour les défenseurs de l'avortement médicamenteux.

L'accès à l'avortement reste difficile

La loi japonaise interdit toujours l'avortement dans les textes mais elle prévoit suffisamment de recours pour que les actes d'interruptions volontaires de grossesse (IVG) soit possibles et pratiqués dans le pays, et ce jusqu'à 22 semaines.

Mais dans les faits, les barrières pour avorter sont nombreuses. Dans la loi japonaise, les femmes ne peuvent avorter que si la grossesse "met en danger leur santé" ou qu'elle est le résultat d'un viol. En réalité, ces règles sont surtout dissuasives et n'empêchent pas effectivement le recours à l'avortement.

Deux autres barrières peuvent toutefois réellement l'empêcher: l'accord du mari, si la femme enceinte est mariée, est régulièrement demandé par les médecins. Le Japon fait partie des onze pays dans le monde autorisant l'avortement à imposer une telle condition et il est le dernier pays du G7 à le faire.

La barrière peut aussi être financière: si on ne connaît pas encore le prix de la pilule abortive qui devrait être commercialisés prochainement, les avortements chirurgicaux pour les grossesses inférieures à douze semaines peuvent coûter entre 100.000 et 200.000 yens, soit entre 700 et 1400. Les prix grimpent pour les avortements réalisés après douze semaines.

Le Japon est souvent considéré comme conservateur sur les questions dites "de société", dont les droits des femmes. L'État nippon pointe à la 116e place sur 146 du classement mondial relatif à l'égalité entre les femmes et les hommes établi par le Forum économique mondial.

Article original publié sur BFMTV.com

VIDÉO - La Cour suprême des Etats-Unis maintient pour l'instant l'accès à la pilule abortive