« J’ai voulu créer la crèche idéale, mais la réalité pousse à la maltraitance » - Témoignage
TÉMOIGNAGE - En 2016, j’ai passé un CAP petite enfance. Mon premier emploi dans une petite crèche a été l’occasion de constater des actes inadmissibles. Des enfants forcés à manger jusqu’au vomissement, qui se faisaient crier dessus… Après deux mois, j’ai quitté ce poste choquée, non sans avoir fait un signalement à la protection maternelle et infantile (PMI).
Marquée par cette expérience, j’ai évité les crèches quelque temps. J’ai travaillé dans d’autres domaines de la petite enfance, où j’ai commencé à former l’idée que je pourrais créer ma propre structure et faire les choses autrement. Pendant deux ans, j’ai fait des recherches sur les manières d’ouvrir une micro-crèche, puis, je me suis lancée.
Une micro-crèche qui correspond à mes valeurs
Poussée par l’idéalisme, j’ai voulu crée un endroit qui répondrait à des problématiques multiples. Nous proposions des horaires atypiques pour les parents membres du personnel hospitalier, des ateliers de soutien à la parentalité, une approche bienveillante envers les enfants… Positionnés dans un quartier où une grande partie de la population était précaire, nous tenions à proposer des services les moins chers possibles, pour qu’ils soient accessibles à tous.
Jusqu’au Covid, la structure a tenu. Mais petit à petit, les difficultés se sont accumulées. Au gré de la pandémie, notre charge de travail s’est multipliée : l’entretien des locaux et des jouets est devenu très lourd, l’accueil des familles est devenu plus long, et les professionnels ont été débordés. Il a fallu recruter du personnel supplémentaire et pour absorber ce coût, nous avons dû revenir à des horaires classiques.
Des subventions impossibles à demander
Puis, des décisions politiques ont été prises pour faire évoluer la profession, avec de nouvelles mesures intéressantes mais financièrement impossibles à tenir sans aides supplémentaires de l’État : travaux de rénovation coûteux, augmentation du personnel présent à certaines heures… D’autres mesures dégradent la qualité de l’accueil, puisqu’il est désormais possible d’embaucher du personnel non qualifié.
Le tout, donc, avec extrêmement peu d’aide concrète pour les gestionnaires. Nous sommes par exemple éligibles à une subvention de la CAF. Mais malgré des demandes incessantes depuis plusieurs années, je n’arrive pas à obtenir le formulaire nécessaire, ni à établir un contact avec quelconque interlocuteur.
Moi qui m’étais lancée dans cette micro-crèche pour faire des projets d’accompagnement à la parentalité, je ne faisais que de la paperasse du matin au soir. Frustrée, j’ai commencé à perdre le cœur de mon métier. En parallèle, les difficultés financières augmentaient et je me sentais prise en étau. À titre personnel, je ne touchais pas grand-chose : la première année de la crèche, j’ai travaillé 70 heures par semaine entièrement bénévolement. La deuxième année, j’ai pu me payer 750 € par mois. Après 4 ans d’existence, je gagnais 1 000 € par mois, un salaire inférieur au SMIC.
Un système où seuls les gros groupes survivent
Pour pouvoir continuer à fonctionner, je devais progressivement rogner sur les valeurs qui m’avaient poussée à ouvrir cette micro-crèche en premier lieu. Les ateliers de soutien se sont raréfiés, et j’ai vu les professionnels avec qui je travaillais se démotiver parce que je ne pouvais pas répondre à leurs demandes. Je sais qu’ils étaient fatigués, mais il m’était tout simplement impossible d’embaucher plus. Les tarifs des crèches sont encadrés, les aides que reçoivent les parents aussi - et on sait que le coût est élevé pour eux. En l’état des choses, la situation est insoluble.
Confronter mon envie de bien faire à l’impossible réalité m’a épuisée et j’ai fini par faire un burn-out. Aujourd’hui, je ne peux pas retourner à la crèche, et j’envisage de vendre cette structure que j’étais si heureuse de créer.
Le secteur de la petite enfance est difficile et apporte peu de reconnaissance. Les seules entités qui semblent survivre sans difficultés sont les gros groupes privés qui nous inondent de mails proposant de nous racheter. Leur ampleur leur permet d’absorber les coûts imposés par les changements de réglementation et d’avoir des contacts privilégiés avec la CAF, sous l’œil bienveillant de l’État. Mais cela ne veut pas dire qu’ils proposent le meilleur service, bien au contraire !
À titre personnel, j’ai toujours l’espoir de vendre ma crèche à un petit gestionnaire. Je sais que ce ne sera pas simple : sur les groupes Facebook de crèches indépendantes, je vois défiler les mises en vente et les messages de renoncement.
Quand les professionnels n’en peuvent plus, le danger apparaît
Le secteur de la petite enfance est à bout de souffle et repose sur un système impossible qui pousse à la maltraitance. On ne donne pas les moyens aux structures d’accueil de recruter des personnes qualifiées et diplômées, de faire des projets cohérents, ce qui épuise les professionnels. Et quand les professionnels n’en peuvent plus, les choses deviennent dangereuses. Cela commence par des oublis légers, et peut aller jusqu’aux drames qu’on a déjà pu constater en France.
Il y a une véritable bataille à mener pour la petite enfance. Gestionnaires, professionnels, éducateurs et éducatrices, puériculteurs et puéricultrices… Dans les micro-crèches comme dans les autres structures sous-financées par la CAF, nous avons tous fait les mêmes constats. Nous sommes abandonnés par les administrations, abandonnés par le gouvernement, dans un contexte où personne ne valorise notre travail, où nous naviguons à vue. Aujourd’hui, après des années sans réponses, on nous dit : « Nous allons augmenter les contrôles. » Très bien, mais où sont les moyens d’améliorer les choses pour ce public incroyablement vulnérable qui est le nôtre ? Il est temps d’investir largement dans la petite enfance.
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