« J’ai pris le train en tant que personne à mobilité réduite, et on m’a traitée comme un carton abandonné »

« J’ai payé mon aller-retour pour être placée dans le couloir. Je n’ai même pas droit à une tablette pour poser un ordinateur, je ne peux pas charger mon téléphone, je suis comme un carton abandonné. »
« J’ai payé mon aller-retour pour être placée dans le couloir. Je n’ai même pas droit à une tablette pour poser un ordinateur, je ne peux pas charger mon téléphone, je suis comme un carton abandonné. »

TÉMOIGNAGE - En juillet, j’ai décidé de prévoir quelques jours de vacances avec une amie dans une ville du sud de la France desservie en train depuis Paris, où je réside. Si ce projet d’été peut sembler assez classique, il m’a été très difficile d’accès. Je suis en effet atteinte d’une myopathie dystrophie congénitale et je ne peux pas marcher : je me déplace en fauteuil roulant électrique. Pour moi, comme pour bien d’autres personnes à la mobilité réduite, prendre le train n’a rien d’une partie de plaisir.

La galère commence dès l’achat du billet, qui m’oblige à me rendre en gare. En ligne, on ne peut pas préciser être handicapé lors de sa commande. Le métro n’étant pas accessible et la rampe d’accès au bus ne fonctionnant qu’une fois sur deux, je dois donc utiliser un taxi privé - ce qui a un coût, avant même d’avoir pu commencer à organiser mes vacances.

Le jour du départ, j’enchaîne les mauvaises surprises

Mon amie et moi nous retrouvons donc pour acheter nos billets. Quand nous sommes reçues, je précise que je ne suis pas transférable sur un siège et que je resterai dans mon fauteuil électrique durant le trajet en TGV. On me donne rendez-vous le jour J, trente minutes avant le départ du train.

Première mauvaise surprise : quand il est l’heure de nous accompagner jusqu’au train, nous sommes deux personnes en fauteuil pour un seul agent SNCF. En conséquence, le service d’aide au portage des bagages ne peut pas être assuré : l’autre personne handicapée est en fauteuil manuel, et elle a besoin d’être poussée. L’amie qui part avec moi se dévoue pour prendre mes bagages (qui comprennent une valise et un fauteuil manuel), mais les choses auraient pu être bien plus compliquées si j’avais été seule. Pour un service qui vise à faire en sorte que les personnes handicapées puissent se déplacer dans de bonnes conditions, c’est raté.

L’agent nous accompagne jusqu’à « l’espace PMR » du train, et je découvre une deuxième surprise bien plus désagréable. Le train ne semble pas aux normes d’accueil des personnes en fauteuil. Je n’avais aucune idée de la manière dont je serai placée et le résultat est plus qu’inconfortable puisque je me retrouve tout simplement dans le couloir, dos à la porte coulissante, à côté du rack à bagages.

L’espace n’est pas assez spacieux pour qu’une personne puisse circuler à côté de moi et je comprends rapidement que je vais passer les quatre prochaines heures à devoir bouger sans arrêt. Je tente d’interpeller l’agent qui m’a installée, mais elle me répond qu’elle ne peut pas m’aider. Quand nous croisons la contrôleuse, nous lui expliquons que nous ne pouvons pas voyager comme ça et elle nous répond qu’elle ne peut rien faire non plus, avant de nous conseiller d’envoyer une réclamation à la SNCF.

Je me retrouve dans le couloir, comme un carton abandonné

Sans autre option, je reste sur la « place » qui m’a été attribuée. Chaque fois qu’un voyageur veut aller aux toilettes, au wagon bar, ou monter ou descendre du train, je dois manœuvrer. Rallumer mon fauteuil, faire des marches arrières, changer de position… J’ai payé mon aller-retour 250 € pour être placée dans le passage. Je n’ai même pas droit à une tablette pour poser mes affaires ou à une prise pour charger mon téléphone. Je suis comme un carton abandonné.

Pour éviter les douleurs causées par ma pathologie, je dois passer en position demi-assise sur mon fauteuil. Ce confort m’est finalement impossible à obtenir puisque je dois me replacer toutes les cinq minutes pour faire de la place aux voyageurs. À force de devoir sortir du wagon, certaines personnes posent même leurs valises sur mon emplacement et mon amie est obligée d’aller leur demander de les déplacer.

Vient ensuite la troisième mauvaise surprise. Quand j’ai besoin d’aller aux toilettes, je découvre que mon fauteuil électrique ne rentre pas dans la cabine et que je n’ai que deux options : faire mes besoins la porte ouverte, sans aucune intimité, ou laisser mon fauteuil en dehors des toilettes et me faire porter par mon amie, une solution très douloureuse que j’ai dû choisir par dépit.

J’étais dans mon droit, mais j’ai passé le trajet à m’excuser

J’ai passé le trajet à m’excuser auprès de tous les passagers. Techniquement, je sais bien que j’étais dans mon droit, mais je ne pouvais pas m’en empêcher. Bien qu’aussi légitime que les autres à être dans ce train, le contexte m’a forcée à être embarrassé de ma présence.

Se dire qu’on gêne, cela crée une fatigue importante, une charge mentale constante qu’on impose aux personnes handicapées et dont les valides n’ont pas conscience. J’avais pourtant déjà eu une expérience similaire avec la SNCF deux ans plus tôt. Mais même en prévoyant la violence potentielle de ces moments, on finit par se dire « Je n’ai pas le choix ». Comme tout le monde, j’ai besoin de vivre et si je dois choisir entre subir cette inaccessibilité ou ne pas partir en vacances, évidemment, je continuerai à partir en vacances.

J’espérais que le trajet du retour soit plus agréable, en vain. Les conditions de route ont été les mêmes, avec leur lot de difficultés supplémentaires. Mon amie était installée très loin de moi bien que ma carte d’invalidité mentionne que j’ai besoin d’un accompagnateur, et donc d’assistance potentielle à tout moment, notamment pour manger ou boire. Évidemment, j’étais toujours placée dans un couloir bien trop étroit pour respecter les normes d’accès pour les personnes en fauteuil électrique, à côté des valises. Cette fois-ci, les seules toilettes qui m’étaient accessibles étaient hors-service.

« Il est temps que cette inaccessibilité cesse »

Je suis rentrée de vacances avec le sentiment d’avoir été rabaissée. En tant que personne handicapée, je fais de mon mieux pour me faire une place dans la société en général. Mais chaque fois que je fais un pas en avant, les difficultés validistes que je rencontre me font reculer de deux pas en arrière. Je sais que ça ne m’empêchera pas de vivre, mais il est temps que les choses changent.

Je sais que je ne suis pas la première, et malheureusement pas la dernière à qui ce genre de choses arrive. Mais il faut nous faire une place, au sens propre comme au sens figuré : c’est à cause de ce type d’inaccessibilité que les personnes en situation de handicap se retrouvent isolées, sont forcées de rester chez elles. Ensuite, on n’est pas vues par la société, et nos besoins ne sont pas entendus. Ce n’est pas tolérable. Nous ne demandons pas de faveur, nous demandons à être traitées correctement, au même titre que les autres. Nous en avons le droit !

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