« J’ai 76 ans et je suis childfree : j’ai choisi de ne pas avoir d’enfants, et je ne regrette rien » - Témoignage

Edith Vallée a fait le choix de la non-maternité. Pionnière des études sur les childfree en France, elle revient sur son parcours et sur l’évolution du regard porté sur les femmes qui ne veulent pas d’enfant.

« Je ne pouvais aller nulle part sans qu’on dise “Édith Vallée est là, elle fait une thèse sur la non-maternité.” Ensuite, je devais batailler pour défendre mon point de vue. »
sarote pruksachat / Getty Images « Je ne pouvais aller nulle part sans qu’on dise “Édith Vallée est là, elle fait une thèse sur la non-maternité.” Ensuite, je devais batailler pour défendre mon point de vue. »

En 1968, j’avais la vingtaine et j’étais étudiante en psychologie à Paris. Jusque-là, le parcours qui m’attendait était une évidence : je serai mère, et l’essentiel de ma vie de femme tournerait autour de la vie conjugale et de la maternité. Il était tout à fait question que je travaille et que je gagne ma vie, mais tout le monde pensait, et moi la première, qu’on ne pouvait être véritablement épanouie qu’à partir du moment où on avait des enfants.

Ma rencontre avec les idées de mai 68 a renversé cette conception du monde. Pendant cette révolution, j’ai appris que plutôt que de répondre à des injonctions, il était nécessaire et vital de suivre ses propres inclinaisons. Les miennes m’ont amenée à faire le choix de ne pas avoir d’enfant.

Envie de s’épanouir autrement qu’à travers la maternité

Au début des années 70, au moment du mouvement des femmes, j’ai monté chez moi des rendez-vous féministes où l’idée était de se retrouver, de se raconter, d’échanger sur ce qu’était être une femme en dehors des diktats qui pesaient sur nous. Les bouleversements qui jaillissaient de ces moments extraordinaires m’ont aidée à trouver ma propre voie : celle de m’épanouir autrement qu’à travers la maternité.

La rencontre avec celui qui est devenu mon mari m’a confortée sur ce chemin. Nous nous sommes aimés d’un amour fou, et un jour, il a dit ces mots : « Pourquoi on ferait des enfants ? On n’a pas besoin d’enfants pour vivre heureux. » Cette phrase a pris une ampleur essentielle pour moi. Lui a suivi un chemin différent : après dix ans d’union, il a voulu des enfants et nous nous sommes séparés.

Cela a été extrêmement douloureux, mais j’ai tenu bon. Après cette rupture, j’ai rencontré d’autres hommes, puis l’homme avec qui je suis aujourd’hui en couple depuis plus de 20 ans, et je n’ai jamais douté de mon choix de ne pas être mère.

Des remarques dans l’espace public ou privé

Ce choix a été mon sujet de thèse en psychologie, et le thème de certains de mes livres. Je voulais dire qu’il était possible d’être heureuse et femme en faisant ce choix. Il n’était toutefois pas facile d’aborder cette question et dès le début de ma carrière, j’ai souvent connu l’opprobre, le rejet ou la violence. À l’université, les empoignades étaient fréquentes. Je ne pouvais aller nulle part sans qu’on dise : « Édith Vallée est là, elle fait une thèse sur la non-maternité ». Ensuite, je devais batailler pour défendre mon point de vue. Les débats étaient tranchés !

Dans le cadre privé également, il m’est arrivé de subir des réflexions peu amènes. Je pense à ce jour où, alors que je recevais chez moi, une femme m’a demandé si j’avais des enfants. Quand je lui ai expliqué en riant que j’avais choisi de ne pas être mère, l’air est devenu glacial autour de la table. Sa sentence est tombée, et elle a déclaré : « C’est comme Véronique Courjault [femme française qui a avoué avoir tué trois de ses bébés dont deux qu’elle a entreposés dans un congélateur en 2006, ndlr], on se demande si certaines personnes sont encore des êtres humains. »

Ce commentaire, d’une violence insensée, est le reflet d’une idée très prégnante : celle laquelle derrière les childfree, il y a des infanticides potentielles. C’est dire à quel point ce choix, à l’époque, était encore choquant.

Les soupçons sur les childfree

J’ai aussi eu droit à des commentaires étonnants dans ma vie professionnelle. Lors d’un processus d’embauche, j’ai rencontré le directeur de l’hôpital psychiatrique où je voulais exercer en tant que psychologue. « Il paraît que vous ne souhaitez pas avoir d’enfant, c’est ce qu’on m’a rapporté, dites m’en plus » m’a-t-il interrogée. En fin d’entretien, il m’a dit « Très bien, je constate que vous n’êtes pas psychotique, donc je vous embauche ».

C’était le soupçon qui pesait sur moi : puisque j’avais décidé que je ne serai pas mère, j’étais peut-être psychotique. De son côté, mon père était persuadé que mon choix de non-maternité était une révolte contre lui. Certes, il y a une forme de révolte dans le refus des injonctions. Mais c’est surtout un choix de vie, une question personnelle. Nul besoin de susciter une telle angoisse chez les autres.

Il n’y a pas d’horloge biologique pour être heureuse

On répète beaucoup aux femmes que si elles n’ont pas d’enfant, elles passeront à côté d’une partie essentielle de la vie, qu’elles le regretteront. Ce n’est absolument pas ce que j’ai expérimenté. J’ai gagné du temps pour chercher du sens à mon existence et jouir de ce qu’apporte la vie. J’ai étudié et écrit sur l’histoire de l’art. J’ai mené une vie affective riche, sensuelle, intéressante et vivante. Il n’y a pas d’horloge biologique pour être heureuse !

Après avoir soutenu les femmes qui ne voulaient pas d’enfant par mon travail, je me suis intéressée au matrimoine et à la manière dont les historiens ont invisibilisé les œuvres féminines. C’est pour moi intrinsèquement lié. Mettre en lumière les femmes occultées par les historiens permet aux femmes d’être reconnues pour leur participation à la marche du monde, en dehors de la maternité. Dans le même élan, je m’investis dans la lutte contre les violences sexistes et sexuelles. Enfin, me voici devenue protestante, parce que cette religion qui ne cesse d’interroger les textes entraîne au renouvellement permanent de la personne.

Les choses ne sont plus aussi tranchées aujourd’hui

Aujourd’hui, je remarque de vraies évolutions dans la manière dont les femmes, qu’elles soient mères ou non, osent s’exprimer. Dans les années 80 et 90, il n’était plus de bon ton de critiquer les femmes, mais de nombreux propos insidieux tendaient à faire comprendre que les femmes qui ne voulaient pas d’enfant n’étaient pas bien dans leur peau. On habillait ses propos d’un vernis de tolérance pour dire « Certes, ces femmes ont bien le droit de ne pas avoir d’enfants, mais elles ne sont pas heureuses ». Celles qui avaient fait le choix d’être mère pouvaient être très agressives envers mes sujets d’étude. Et aujourd’hui, c’est complètement différent.

Je vois des mères qui osent dire : je suis heureuse d’être mère, mais j’aurai pu être heureuse sans enfant, et je vois des childfree nouer des liens étroits avec les enfants des autres. Et je trouve ça extraordinaire que les choses ne soient plus aussi tranchées et qu’on puisse toutes s’exprimer librement, se tendre des miroirs d’échanges, avec fluidité.

À 76 ans, je ne regrette rien et je me sens toujours parfaitement épanouie. Je suis à la convergence de mes aventures de militante, féministe, chercheuse, personne portée par une quête spirituelle. J’ai l’impression de sans cesse progresser, d’évoluer et de me renouveler. Et ce n’est pas fini !

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