« J’ai élevé mon fils avec la parentalité positive et je culpabilise de ce qu’il impose aux autres »

Pour éviter du stress et de la culpabilité, Joris aurait bien aimé lire des avertissements au sujet de l’éducation positive.
Kentaroo Tryman / Getty Images/Maskot Pour éviter du stress et de la culpabilité, Joris aurait bien aimé lire des avertissements au sujet de l’éducation positive.

TÉMOIGNAGE - Avant que ma femme ne tombe enceinte de notre premier enfant, je ne m’étais jamais posé de questions sur les différentes méthodes d’éducation. Petit à petit, entre les recommandations de livres et les recherches sur internet, j’ai découvert le vaste monde des conseils en parentalité.

L’éducation positive « est une forme d’emprise un peu sectaire », selon l’autrice de BD Emma

Dans l’ensemble, les enseignements soulignaient l’importance d’accompagner le développement de son enfant en fonction de ses besoins et de l’éduquer sans violence, ce à quoi nous avons évidemment adhéré. La plupart des contenus qui nous semblaient pertinents se réclamaient de l’éducation positive.

L’envers du décor de la parentalité positive

Certains conseils étaient très précis (le fameux « il ne faut pas dire non », l’utilisation d’un timer…), d’autres étaient un peu plus vagues. Ce qui ne correspondait pas à cette méthode éducative était presque toujours présenté comme violent, inefficace ou inadapté au regard des nouvelles connaissances scientifiques.

Au gré des « techniques » de parentalité piochées sur les réseaux sociaux, la parentalité positive est devenue notre mode d’éducation principal presque sans le vouloir. Avec ses qualités, mais aussi ses écueils, dont j’aurais aimé qu’on me parle plus tôt. Aujourd’hui, mon fils aîné a 4 ans et demi et je voudrais parler de l’envers du décor. De tout ce que l’éducation positive peut avoir de négatif et culpabilisant, et dresser un bilan de ma vie de parent un peu au bout du rouleau.

Car ce qu’on ne dit pas, c’est qu’en fonction de chaque enfant, les choses peuvent se passer très différemment. Pour ma compagne et moi, cela se traduit par une gymnastique incessante et des circonvolutions permanentes pour offrir à notre enfant aîné un cadre sécurisant, tout en cherchant constamment à obtenir son accord. Et la culpabilité terrible de se dire que, si nous ne sommes pas assez patients, notre enfant subira les effets de notre incompétence maltraitante pour le reste de sa vie.

Que fait-on quand ça ne marche pas ?

Si l’idée d’éduquer nos enfants sans violence nous a semblé évidente, nous avons découvert que la définition de la violence n’est pas la même pour tout le monde. Isoler son enfant dans sa chambre ou le manipuler physiquement sans faire de mal (lui mettre ses chaussures ou lui brosser les dents même s’il n’est pas d’accord, par exemple) sont des choses qu’on nous a présentées comme dangereuses, auxquelles il faudrait privilégier le fait de « demander et expliquer ». Mais les livres, podcasts et autres posts Instagram n’envisagent jamais l’option dans laquelle « demander et expliquer » ne fonctionne pas – au point que j’ai longtemps cru que j’étais le seul à galérer avec des activités aussi triviales.

D’un côté, on occulte les fois où ces méthodes ne marchent pas en donnant l’impression que si elles ratent, c’est nous qui ratons, de l’autre, on met l’emphase sur la « violence » des autres manières de faire. Le résultat, c’est une vraie détresse et l’impression qu’il n’y a aucune solution qui fonctionne.

Et en ça, l’éducation positive ne m’a vraiment pas aidé. « Ton enfant ne veut pas rentrer de l’école à vélo ? Mais c’est facile voyons, fais des bruits de chevaux et prétend que vous chevauchez une licorne. Tous les enfants aiment les licornes !  » Et toi, après avoir écouté ton podcast, tu te retrouves sous la pluie, tu tentes la licorne et ton gamin s’en cogne, il ne veut pas monter sur le vélo, il ne mettra pas son casque, il est déjà en train d’enlever ses chaussures, t’as un deuxième enfant à aller chercher et tu ne peux pas être encore en retard chez la nounou cette semaine. La « technique infaillible » ne marche pas. Je ne peux pas saucissonner mon gosse au vélo, c’est maltraitant. Je peux pas lui crier dessus, c’est violent aussi. Il ne reste que des mauvaises solutions (abandonner le vélo, le prendre sur l’épaule et courir jusque chez la nounou).

Un enfant aux besoins spécifiques

Avec toutes ces méthodes, nous avons sans nous rendre compte mis en place des « suradaptations » autour de notre enfant, qui font qu’il nécessite aujourd’hui un mode d’emploi de quatre pages en diplomatie et négociations. Avant l’école et les premières activités extrascolaires, je croyais que tous les enfants étaient comme mon fils, un peu dans leur bulle et difficiles à canaliser.

La première fois que je l’ai emmené à l’escalade et que j’ai vu le prof demander à tous les gosses de s’asseoir pour l’écouter, je me suis dit « il est marrant, il croit qu’ils vont tous arrêter de bouger et se concentrer ». Surprise : ils l’ont tous fait, sauf le mien, qui était concentré sur son petit monde. À la maison, quand ça arrive, on a une méthode. On se rapproche, on se met à son niveau, on demande son attention avec des termes clairs. Mais le prof d’escalade ne peut pas faire ça avec chaque enfant. D’ailleurs, est-ce qu’il devrait avoir à le faire ?

Même chose à l’école, face à une maîtresse qui m’explique, dépitée, que mon fils n’en fait qu’à sa tête et n’écoute rien. Je ne suis pas fier de lui déposer un fardeau tous les matins, et je sens bien qu’elle aimerait que je « resserre la vis » à la maison, que je fasse un truc. Je n’ai pas une éducation permissive, on discute, on explique. Lui crier dessus ? Parfois, ça arrive quand je ne réussis pas à faire mieux. Ça marche, il est puni, il pleure, tout le monde est contrarié. Et d’après Instagram, j’en fais un anxieux qui finira sa vie sous anxiolytiques, incapables de trouver le bonheur.

Aucun autre adulte n’a autant de patience que nous

Aucun des adultes autour de mon enfant n’apprécie vraiment de s’occuper de lui. Mais mère tient le coup, mais je crois que c’est la seule personne qui choisit de passer du temps avec lui. Et me voilà comme un con, avec un constat : mon fils aîné, que j’aime énormément, est un boulet pour les gens qui s’occupent de lui. Si je m’étais permis d’être un peu plus strict parfois, peut-être que je lui aurais évité de subir bien pire de la part des adultes qui perdent patience aujourd’hui.

Je culpabilise tout le temps. Pour les autres adultes, qui perdent de l’énergie à gérer mon enfant qui en demande plus que les autres. Pour les autres enfants, dont les encadrants sont en partie accaparés par mon fils. Pour mon fils lui-même, parce que les adultes ne répondent pas à ses attentes – qui sont difficiles à tenir – et parce que celles et ceux qui s’occupent de lui deviennent désagréables quand ils perdent patience.

Je culpabilise en me disant que s’il est comme ça, c’est parce que j’ai mal compris des choses de cette fameuse parentalité positive et que je n’arrive toujours pas à rectifier le tir. Et enfin, il y a la culpabilité quand je craque et que je n’arrive plus à appliquer ces principes de bienveillance, et que je pense à toutes les conséquences terribles qui attendent mon fils à cause de moi.

Il n’y a pas de solution magique pour tous

Avec le recul, je me rends bien compte que ça ne pouvait pas fonctionner comme ça. On m’a dit « pour que toi et ton enfant soyez parfaitement heureux, tu as juste à acheter ce livre ». Et quand ça n’a pas marché, je me suis dit « il faut un autre livre », ou bien « j’ai dû mal comprendre ». Aujourd’hui, ça me fait l’effet d’une arnaque grossière.

Quand j’ai vu mon deuxième fils grandir avec bien plus de facilité, j’ai découvert qu’il y avait une part du caractère de nos enfants sur laquelle nous n’avions aucune emprise. En fait, il n’y a pas de solution magique pour tous et quand on sort un peu la tête de l’eau, ça paraît évident. En échangeant avec d’autres parents, j’ai appris que je n’étais pas le seul à en baver, à me poser des questions, à m’inquiéter…

Mais pour éviter bien du stress et de la culpabilité, j’aurais bien aimé lire des avertissements à ce sujet. D’abord, il y a des enfants plus difficiles que d’autres, c’est comme ça. Et ensuite, se lancer dans une démarche d’éducation positive, c’est super. Mais il ne faut pas croire que tous les adultes et tous les enfants pourront tout le temps tout gérer de cette manière. Parfois, ça ne marchera pas et ce n’est pas si grave.

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