Ivresse, insultes et prises de bec, quelques moments d'anthologie d'"Apostrophes" l'émission culte de Bernard Pivot

Apostrophes, que Bernard Pivot anima 724 fois sur Antenne 2 de 1975 à 1990 (avant de poursuivre avec "Bouillon de culture" jusqu'en 2001), a connu de nombreux moments d'anthologie ainsi que de belles polémiques.

L'émission, diffusée le vendredi soir, était regardée par plusieurs millions de téléspectateurs. Grands connaisseurs de la littérature ou modestes amateurs de livres, ils y appréciaient les traits d'esprit, les pensées frappantes de concision, les tirades lyriques ou les engueulades que Bernard Pivot savait susciter chez les auteurs invités.

Matzneff face à Bombardier

Des débats surprenants ou houleux, il y en eut des dizaines. Lors de l'un des plus marquants, en 1990, la romancière québecoise Denise Bombardier s'oppose à Gabriel Matzneff, dont les écrits font l'apologie des relations sexuelles avec les enfants et adolescents.

"S'il y a un véritable professeur d'éducation sexuelle, c'est quand même Gabriel Matzneff, il donne volontiers des cours", lance Bernard Pivot, badin, en présentant l'auteur qu'il qualifie aussi de "collectionneur de minettes".

"Moi, M. Matzneff me semble pitoyable", répond Denise Bombardier, seule sur le plateau à s'inquiéter pour les conquêtes mineures de l'écrivain et jugeant qu'il aurait eu "des comptes à rendre à la justice" s'il n'avait pas "une aura littéraire". "Il y a des limites même à la littérature", déclare-t-elle encore.

Cette séquence est devenue virale à la sortie fin 2019 du livre Le Consentement de Vanessa Springora, sur ses relations, mineure, avec Gabriel Matzneff, conduisant Bernard Pivot à faire amende honorable sur Twitter.

"Dans les années 70 et 80, la littérature passait avant la morale; aujourd'hui, la morale passe avant la littérature. Moralement, c'est un progrès. Nous sommes plus ou moins les produits intellectuels et moraux d'un pays et, surtout, d'une époque", a-t-il écrit à son presque million d'abonnés.

"Ta gueule, Bukowski!"

En 1975, le Russe Vladimir Nabokov est l'invité exceptionnel d'Apostrophes. Bernard Pivot lui demande à plusieurs reprises: "Encore un peu de thé, M. Nabokov?" En fait, l'auteur de Lolita avait demandé à ce que, dans la théière, on verse du whisky.

Trois ans plus tard, Charles Bukowski boit trois bouteilles de sancerre avant le début de l'émission et durant son interview. À l'antenne, l'auteur du Journal d'un vieux dégueulasse, complètement saoul, tient des propos incohérents. Le journaliste et écrivain François Cavanna lui lance: "Ta gueule, Bukowski!", lequel se penche vers la romancière Catherine Paysan pour caresser son genou. "Ça, c'est le pompon!", s'écrit-elle. Bukowski s'agite sur sa chaise. Quelqu'un vient le soutenir pour qu'il puisse quitter le plateau. Les ventes des romans de l'Américain explosent.

Gainsbourg et le "blaireau"

En 1986, Serge Gainsbourg, affalé devant un piano, peut-être éméché, peut-être pas, dit: "Du champ', du brut', du vamp', du put'" et explique que "ce sont les mots qui véhiculent l'idée et non pas l'idée qui véhicule les mots".

Guy Béart n'est pas d'accord. Gainsbourg, sans même tourner la tête, lâche: "Qu'est-ce qu'il a dit, le blaireau, là?". Béart tente de parler, l'auteur de Melody Nelson balance: "Ta gueule". "Je sens qu'il y a un petit contentieux entre vous", dit Pivot. "Mais non!", souffle Gainsbourg. "Absolument pas! Je le connais pas". Ce qui est totalement faux.

Bernard Pivot gardera un mauvais souvenir de cet épisode: "Guy Béart avait été agressé, il avait dû réagir et l'émission ne le mettait pas à son avantage". "Ce qu'il y avait de blessant dans 'blaireau', c'était la façon de dire. Une méchanceté se dégageait", notera pour sa part Béart.

Article original publié sur BFMTV.com